Rire ou pleurer ? Que faut-il faire ? Quand l’extrême droite frappe à la porte. Quand la suffisance d’un grand commis du capital nous est vendue comme un baril de lessive par la médiacratie. Ni pleurs, ni rires ne sont utiles. Mais convoquer l’analyse s’impose, pour comprendre de quoi Marine Le Pen est le nom, de quoi Emmanuel Macron est le nom. Pour comprendre pourquoi notre syndicalisme divisé est la réplique d’un monde politique fracturé qui désespère.

Le caractère international du 1er mai est fondamental. Il nous invite à voir la mondialisation injuste à l’origine des maux qui frappent les peuples. L’économie mondiale est dictée par une poignée de dirigeants de multinationales qui ont mis la main sur le monde, sur sa manière de le penser. Les progrès sociaux bâtis par des générations de travailleuses et travailleurs, que nous célébrons chaque 1er mai, sont la cible de ces puissants. Pour eux, le dumping social généralisé est la seule loi qui vaille. Cette politique cynique nourrit les rancœurs, exacerbe les nationalismes et la xénophobie. Confronté à la plus grande crise de réfugiés, que l’immigration climatique va amplifier, le monde cède au repli. Les migrants sont rejetés, maltraités, privés de dignité par des gouvernements qui cèdent devant les relents racistes et les peurs.

Le syndicalisme internationaliste a toujours affirmé qu’il ne peut y avoir de paix sans droits humains, sans respect des droits fondamentaux des travailleuses et des travailleurs. L’œuvre constante du syndicalisme est d’inventer et rechercher des mécanismes pour redistribuer les fruits du travail. Car la redistribution est au cœur de tout. Or c’est elle qui est sacrifiée dans cette mondialisation qui met en concurrence les peuples, dans une Europe qui attise la rivalité des régions. Cette mondialisation, basée sur les profits et les valeurs du mérite individuel, est terrible dans ses conséquences. Des millions de femmes et d’hommes sont victimes de formes d’esclavage qui se renouvellent, sans droits de créer des syndicats, sans salaire minimum vital, livrés aux emplois dangereux et dégradants… Un tel système est mortifère pour la planète. C’est lui qui détruit les mécanismes de solidarité, qui transforme en marchés les besoins vitaux. Tout devient un marché : le marché de l’eau, le marché du travail, le marché de la santé… Le dogme criminel de l’austérité en est devenu l’arme pour détourner les richesses vers 1% de la population pendant que les pauvres sont eux de plus en plus pauvres

Pendant les trente glorieuses les combats du syndicalisme, alliés au socialisme réformiste, a dégagé des marges pour les travailleurs, en ménageant des acquis sociaux. Désormais, avec la faillite de la gauche, avec l’avènement du néo libéralisme, avec l’épuisement du syndicalisme de luttes, le capital reprend ses marges au nom de la dette publique. Les travailleurs des secteurs et services publics sont directement dépendants des luttes que perdent ou gagnent d’abord les travailleurs dans leur ensemble. Car leurs revenus et moyens de travail sont pris sur la part de richesses redistribuées. Mais les politiques néolibérales modernes n’ont que faire de la redistribution. Peu à peu, même des syndicalistes épousent le vocabulaire des patrons et de la Finance. Ils pensent avec les mots de leurs adversaires. Les cotisations sont bannies puisque ce sont des charges. Les services publics sont des dettes, les hôpitaux des entreprises et les malades des clients.

La débâcle de ce gouvernement, de ce quinquennat qui a flatté le MEDEF avec la même assiduité que le quinquennat précédent, ne repose pas seulement sur les mensonges du Président et l’autoritarisme pathétique d’un premier ministre. Ce naufrage c’est celui d’un régime qui dans la continuité sert l’obscénité des profits des riches grâce à un appareil de technocrates et d’énarques interchangeables. La corruption de classe et les costumes de Fillon, les affaires de Cahuzac et consorts sont autant de révélateurs d’une oligarchie devenue hors sol, dans la sphère des affaires à faire.

Aujourd’hui que reste t’il dans cette débâcle politique ? D’un côté l’extrême droite, sa haine et sa xénophobie, son capitalisme tricolore, son enfumage des droits sociaux et sa remise en cause profonde des libertés fondamentales. De l’autre un pur produit du néolibéralisme qui projette de détricoter jusqu’à la trame l’ensemble de la protection sociale et des services publics, et qui veut rediriger les provisions des régimes de retraite vers l’investissement en entreprise via des fonds de pension. Qui a aussi pour projet de continuer à déréglementer le travail en aggravant la loi El Khomri, et qui rejette le dialogue social avec les syndicats puisqu’ il juge ces corps intermédiaires obsolètes.

Le FN est le danger principal, sans nul doute. Les salariés qui votent Le Pen se trompent de colère mais pire ils jouent contre leurs intérêts de classe. Si l’extrême droite parvenait au pouvoir, la Constitution serait malmenée et le séisme considérable. L’autoritarisme, les relents identitaires, l’intolérance et la discrimination, et très rapidement une société policée, cadenassée, traduiront en acte les idéologies réactionnaires de ce parti ségrégationniste.

Les résultats de cette élection et le choix devant lequel se retrouvent les défenseurs d’un monde plus juste et plus solidaire créent un profond désarroi. Car qui a produit le FN ? Ce sont les politiques néolibérales et Macron en est le chantre ! Comment penser que voter Macron soit un rempart au FN ? Il est un produit du « vieux monde ». Son programme se résume à la défense des vainqueurs du capitalisme contre les vaincus. Il conduira à une nouvelle montée de l’extrême droite. Et Macron, comme Le Pen, gouverneront à coups d’ordonnances s’ils n’ont pas une majorité à leur botte.

On peut voter Macron au deuxième tour, pour ne pas voir le visage de la haine s’afficher sur nos écrans le soir du scrutin, pour acheter du temps avant de l’affronter dans 5 ans. Mais le seul choix sérieux c’est de mieux se préparer à faire face à lui et non, comme par le passé, continuer à défendre des lignes stratégiques perdantes face aux servants du libéralisme économique.

Notre syndicalisme doit porter toute son attention sur les législatives. Se focaliser sur l’issue de la présidentielle serait un défaut de lucidité. Si un front ne se construit pas entre les forces représentant une large gauche sociale, les forces politiques conservatrices auront un boulevard ouvert pour porter une politique antisociale. L’union est indispensable, les candidatures uniques doivent impérativement être recherchées.

Le syndicalisme dans son ensemble est divisé. Comment penser que nos quatre syndicats réunis pourront pendant cinq ans réussir à résister là où les politiques ont capitulé ? Certes nous serons dans la résistance syndicale et nous devrons inventer d’autres formes d’actions mais il serait temps que nos politiques convoquent leur intelligence pour en faire autre chose qu’un fiasco servant la politique du pire.

Le syndicalisme a besoin d’avoir des débouchés politiques à ses revendications. L’indépendance syndicale n’est pas la neutralité. Elle n’est pas la croyance béate dans un vote centriste oublieux des conflits de classes sociales. Le FN l’a compris lui ! Voter contre le FN ce peut être voter Macron par très grand défaut et la mort dans l’âme. Mais c’est surtout agir pour qu’en juin le pire soit évité.

Tentons d’être optimistes ! Les cinq années à venir vont nous faire vivre de vifs moments de tension. Ils seront à traverser sans lâcher pour renouer avec une transformation sociale refaisant place aux salariés et à toutes et
tous les citoyennes et citoyens et avec les nécessaires luttes pour un monde fraternel et solidaire.

Catherine TUCHAIS