Après plus de trois mois de mobilisations, le refus de la réforme avait tout d’une actualité politique majeure. Avant l’annonce du confinement, nécessaire pour éviter l’expansion de la contagion, la mise en avant du coronavirus avait été l’occasion pour le gouvernement de dénier les expressions du rejet, pire de déclencher un 49.3 tueur de débats, tout en endossant le costume avantageux de gestionnaire de crise. Accélérer le processus de démolition du système de protection sociale tout en affichant la nécessité de se protéger contre l’expansion d’un virus dangereux pour les plus fragiles est un atout gagnant pour le gouvernement.

Confiné·es depuis 15 jours, nous sommes soumis·es à une situation inédite, et ce temps ralenti, ces activités arrêtées ou restreintes ne doivent pas éteindre notre vigilance. Le risque sanitaire n’efface pas le danger social. Bien au contraire, il le met encore plus à jour. Les difficultés à répondre à tout ce qu’engendre ce virus – soins et prises en charge des personnes malades, protection des plus fragiles, mise à l’abri pour celles et ceux qui n’en ont pas, aide sociale, protection des personnels réquisitionnés… – sont aussi le résultat de dizaines d’années d’abandon des politiques publiques et de déshabillage des services censés les conduire au plus près des citoyen·nes. Ce n’est pas faute d’avoir alerté le gouvernement. Les grèves et mobilisations contre la réduction indigne des moyens dans les hôpitaux en particulier le crient depuis trop longtemps. La gestion approximative avec un manque d’anticipation criant de la crise dans tous les secteurs – santé bien sûr, mais aussi éducation, politiques sociales… – est la conséquence directe de choix politiques opérés depuis 20 ans au nom du seul capital et de ses tenancier·es.

En entrant dans la crise sanitaire, le Président de la République a annoncé le principe de grands changements à intervenir. En filigranes certain·es ont pu y lire une volonté de mieux garantir certains socles de service public. Promesse qui n’engage que ceux y croient ? Communication pour rassurer des fonctionnaires mal-aimé·es et des usager·es devenus client·es ? Ou changement de cap brutal de la part d’un banquier d’affaires devenu depuis locataire de l’Élysée ? On peut s’interroger, sans s’illusionner.

Car ce faisant, le projet de réforme des retraites n’a été que suspendu ; et les ordonnances prises dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire ouvrent des brèches dangereuses dans le droit du travail, au bénéfice des employeurs·ses et contre la sécurité et la protection des salarié·es. La rhétorique guerrière du Premier ministre avec son « économie de guerre » est pratique pour qui veut constituer des bataillons de mobilisables sans condition. Ainsi les entreprises peuvent « déroger aux durées maximales du travail et aux règles de repos hebdomadaire et dominical », « aménager les congés payés et les jours octroyés dans le cadre de la réduction du temps de travail ». Ainsi l’État peut mobiliser des volontaires pour remplacer parfois des professionnel·les confiné·es ou déjà malades, le tout gratuitement ou presque, l’engagement ayant bon dos et la solidarité confinant à l’union sacrée aussi. Ainsi aux États-Unis les mesures de protection de l’environnement sont allégées pour soi-disant permettre aux entreprises de survivre…

L’heure est aux dérogations multiples sous prétexte de crises économique et sociale amenées à s’installer durablement. Ce gouvernement ne nous ayant pas habitués à la confiance, notre vigilance doit être extrême, dans l’immédiat pour que les droits des salarié·es et la protection des citoyen·es ne soient pas sacrifiés encore plus à l’économie, et une vigilance de demain pour que ces dérogations ne soient pas des occasions d’en faire des règles.

Rien ne peut justifier la mise au pas et aux ordres. Les dérives autoritaires de l’État ont commencé de nous alerter avant cette période de crise, prenant des formes insidieuses et particulièrement inquiétantes quand elles atteignent le plus sensible des politiques publiques, l’éducation des enfants et des jeunes, à l’école et hors des temps scolaires. Les nouvelles modalités de contrôle des lycéen·nes, leur enfermement dans des parcours faussement choisis, l’obligation à venir d’un engagement dans une citoyenneté de conformation via le Service national universel, sont autant de programmes qui nous éloignent encore un peu plus de notre idéal de transformation sociale et de construction de la conscience politique. Dans ce moment de crise qui nous touche tou·tes et vient questionner nos modes de vie et les choix de société, ces valeurs qui fondent et portent notre engagement syndical prennent une résonance encore plus vive et d’urgence.

Quelle sera la pire de nos contagions si nous acceptons de nous terrer ?

Catherine TUCHAIS et Bernard VALIN