Rassurons-nous, le gouvernement n’est pas intransigeant, il change le nom de la loi qu’examine aujourd’hui les députés.
Nous continuons pourtant de l’appeler « Quelle connerie ! »
Rassurons-nous, le gouvernement apporte d’autres changements aux textes, il ajoute deux domaines où l’accord d’« entreprise ne pourra faire moins bien que la branche »… « l’égalité professionnelle et la pénibilité ».
Nous continuons pourtant de dénoncer l’inversion des normes quand il est question du temps de travail et du pouvoir d’achat : les heures supplémentaires, le travail de nuit et le temps partiel.
Rassurons-nous, Myriam El Khomri l’affirme, « le 49-3 n’est pas un passage en force ».
Nous continuons pourtant à condamner le gouvernement et sa « Loi Travail » sur la forme comme sur le fond. Et ce nous, c’est plus de 7 français sur 10 qui, selon un sondage France-Info/Le Parisien, s’opposent à un nouveau recours au 49-3, encore plus qu’au mois de mai.
De manifestation en manifestation, nous portons la voix des salarié-e-s, des jeunes, des privé-e-s d’emploi de ce pays.
De discours en discours, nous dénonçons un projet qui pourrait pour des décennies condamner le salarié à la subordination sans protection. Et quelquefois les mots manquent, alors je me permets d’emprunter à Gérard Filoche sa parabole sur le dumping social, une de ses chroniques « Au boulot » de l’Humanité :
Voyons ce que serait l’application de la loi EL Khomri, dans 3 entreprises d’habillement du 3° arrondissement de Paris.
La première entreprise est rue St Martin : 45 salariés, patron de combat, il a jamais voulu dépasser 50 pour ne pas avoir de comité d’entreprise, l’atelier c’est 4 rangées de 10 femmes, chacune travaille nez baissé sur les machines, la contremaîtresse les surveille sur une estrade, pas le droit de parler, il faut lever le doigt pour aller faire pipi… Dans cette boite, avec la loi El Khomri, le patron va monter sur l’estrade, à côté de la contremaîtresse et va dire : « Nous ne pouvons plus payer les heurs supp’ 25 % ; dorénavant, ce sera 10 % ». Et il va « négocier » : « Y’a quelqu’un qui est contre ? ». Personne ne va broncher, évidemment. Elles vont toutes baisser le nez sur leur machine. Elles vont calculer dans leur tête : elles en ont énormément besoin de ces heures supp’ à cause de leur petit salaire mais elles ne vont rien dire.
La 2° entreprise est rue Meslay, habillement aussi, 35 salariés, patron plus empathique, pas de délégué du personnel pour autant, il décide de rester à 25 %, il dit qu’il a assez de marge et que ses salariées, qu’il aime bien, en ont besoin. Mais, dans ce cas, c’est le banquier qui va arriver et dire au patron que son « ratio » salaire/emploi ne dégage pas suffisamment de marges. Or, le banquier aime les entreprises qui ont des marges fortes comme rue St Martin. Il va rappeler au patron, qu’à la fin de ce trimestre il a des difficultés de trésorerie, qu’il a besoin de lui, banquier, pour passer ce cap. Il veut bien l’aider mais s’il s’aide lui-même. Avant El Khomri, le patron pouvait dire « non » au banquier ; car c’était la loi qui fixait le taux des heures supp’ à 25 % ; mais après la loi El Khomri, désormais, ça se négocie. Le « patron gentil » va voir ses salariées et leur dire « – On est obligés sinon le banquier nous lâche ; si je ne vous mets pas à 10%, on est tous foutus, je ferme la boite. Ça me fend le cœur, mais …10% ».
La 3° boite est rue Notre-Dame de Nazareth, 15 salariées, patron voyou, il emploie déjà des clandestins, ne paie pas les heures, le comptable est aussi voyou que lui, l’inspection du travail a déjà dressé plusieurs procès verbaux. Le comptable fait remarquer au patron que, selon la nouvelle loi, les heures supp’ peuvent être soit « majorées » soit « compensées ». Alors il vont « compenser » et donner un blouson à leurs salariés à la fin du mois.
Tel sera le dumping social organisé par la loi El Khomri quand la négociation aura remplacé la loi. Dans une même branche, dans 3 entreprises situées à 3 rues d’intervalle du même arrondissement de Paris, la concurrence déloyale défavorable organisée fera baisser les salaires. Et ce qui vient d’être dit pour les heures supp’ se produira ensuite dans tous les domaines.
Ce serait jouer les Cassandre ? Alors qu’on écoute le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU qui est lui aussi « préoccupé par les dérogations à des protections acquises en matière de conditions de travail proposées dans le projet de loi travail » Il s’inquiète des effets de « la précarisation du travail et la diminution de la protection sociale du travailleur. »
Du côté de Matignon, de l’Elysée, ils doivent se rassurer, l’été arrive. Du côté de Solferino, ils ont déjà compris que notre détermination ne s’ensablera pas sur les plages. Que la promotion Voltaire révise son histoire sociale et qu’elle n’oublie pas que tout est toujours possible, même une grève de 3 semaines des fonctionnaires en plein mois d’août, c’était en 1953.
Ne vous rassurez pas, on ne lâchera rien !
Erick LERMUSIAUX