L’utilisation de cette citation de Berthold Brecht pourra paraître bien excessive. La FSU ne perd pas les élections dans l’éducation ou la fonction publique puisqu’elle « se tasse » dans l’une et « s’écorne » légèrement par ailleurs. Il n’est pas de bon ton de parler de défaite q u an d , ap r ès u n s crutin d e représentativité, un syndicat demeure premier dans son secteur. C’est le cas pour la FSU à l’éducation nationale, comme pour la CGT dans la fonction publique. Quand il y a tassement substantiel, il est de meilleur usage de mettre en avant qu’on reste en « tête », en incriminant des éléments extérieurs au syndicat lui-même ; en particulier l’organisation du scrutin. C’est d’ailleurs largement vrai puisque dans l’éducation nationale l’enseignement supérieur le vote électronique est directement responsable d’une abstention bien supérieure à la moyenne. Elle pénalise directement a FSU. Comme le poids électoral concerné représente un tiers de la fonction publique d’État, on mesure le handicap à remonter pour la fédération. Heureusement cet obstacle est compensé par l’implantation de la FSU dans d’autres ministères. Quant à la CGT, elle se maintient première organisation au total des trois fonctions publiques, elle passe cependant de la 3e à la 5e place dans la fonction publique d’État. Les difficultés « conjoncturelles » de la CGT n’expliquent pas tout. C’est tout le bloc Solidaires/FSU/CGT qui s’érode. Le syndicalisme corporatif de FO progresse. Le syndicalisme d’accompagnement de l’UNSA et de la CFDT est également en progression, même si c’est moins net pour la CFDT car il y a ici et là un système de vase communicant entre ces deux syndicats. Par endroits, le syndicalisme de droite conservatrice émerge.

Contrairement aux élections politiques, le suffrage syndical n’est pas victime de la montée des abstentions. Les taux de participation se maintiennent autour de 52/53%. Malgré le vote électronique, il progresse légèrement dans l’éducation. Une analyse plus fine devrait sans grande difficulté faire apparaître qu’on est face à une redistribution syndicale qui correspond aussi à une modification générationnelle sensible. La tranche d’âge politisée des sexagénaires de « 68 » s’efface. Celle des générations montantes s’affirme. Ce n’est pas faire du jeunisme déplacé qu’observer la manière dont l’électorat « jeune » se détermine aux élections politiques, tout comme les votes « ouvrier »,
« employé », « fonctionnaire »… C’est être lucide que de constater une cohérence tendancielle entre un vote citoyen se déplaçant à droite et un vote syndical le répliquant avec des nuances. Le recul du bloc CGT/Solidaires/FSU traduit un affaiblissement conjoncturel du syndicalisme de transformation sociale. Il est d’une certaine manière en écho au vote politique à « gauche » qui peine à convaincre. La progression de l’UNSA peut apparaître paradoxale, pourtant elle correspond à une réalité sociologique et politique classique chez les enseignants et fonctionnaires, proche du socle gouvernemental actuel. Le vote FO cristallise plus largement les mécontentements sur des bases étrangères à la notion de transformation sociale.

Chacun-e dans la fédération va pouvoir remettre en cause la direction fédérale nationale ou locale, ou celle de son syndicat. Cet exercice est inévitable. Il peut être souhaitable dès lors qu’il s’exerce pour comprendre et agir sur les failles. Notre syndicalisme, comme celui de la CGT et Solidaires, est de nature « sociétale », fortement idéologisé dans ses courants divers. Analysons ce qui fait que nous sommes tous ensemble exposés à un même phénomène, avec nos spécificités et nos points communs. Mais n’oublions pas que l’audience de la FSU demeure forte et surtout que le syndicalisme que nous incarnons, fait d’argumentation portant des alternatives, est le seul qui dans bien des ministères défend concrètement les personnels, sans confusion avec le syndicalisme de service s’affichant abusivement réformiste. Notre outil syndical peut et doit s’améliorer sans emboîter les fausses modernités du syndicalisme délégataire qui négocie la manière de perdre le plus souvent.

Qui lutte doit savoir intégrer la défaite car la reconnaître et l’analyser est paradoxalement salutaire pour reconstruire les conditions de nouvelles émancipations. Le syndicalisme de transformation sociale doit s’interroger pour rebondir et rassembler en évitant le repli sur les certitudes toutes faites.

Didier HUDE