En cette période pré-électorale où l’arrogance le dispute au ridicule, la tentation est grande de se demander « et nous, citoyens, où sommes nous là-dedans ? ». Certain-es savent utiliser ce désarroi, habiles à construire un discours en kit, adapté à chaque situation de détresse, mais qui ne tient aucune cohérence quand il est lu dans son intégralité. C’est ce que fait le FN, en sangsue de la misère. Un discours réducteur, mais dont il est difficile de rire aujourd’hui tant on en sait la réalité de la menace.

Malgré cela, ou parce que cela, il est nécessaire de ne pas entériner la résignation. Il est même d’autant plus vital de ne pas se laisser réduire, en nombre, au silence, au profit. En tant qu’organisation syndicale, parce que nous travaillons en proximité avec les citoyen-nes, nous avons à construire des lieux de confrontation des idées, qui permettront de sortir des déserts de pensée dans lesquels les dicteurs de prêt à penser veulent nous laisser nous déssecher. En cette période d’élections, où les candidats les plus prompts à vouloir diviser nous volent les mots pour les assécher et pour que nous ne puissions plus les penser par nous mêmes, il est urgent de reprendre notre langage, de dire notre pensée. Et de permettre cela là où nous agissons : en proposant un espace ouvert et protégé des « penseurs » clés en main.

Au nom des principes de justice, de solidarité et de liberté des mouvements de résistance ont su dans le passé répondre ici comme ailleurs à la montée et l’emprise de l’extrême droite. Aujourd’hui en Loire Atlantique, un collectif de lutte contre l’extrême droite et ses idées se recrée qui, malgré des écarts de vision dans la manière d’agir, a au moins le mérite de la confrontation, en dehors de toute pensée totalisante. Ce sont ces lieux de débat et de déconstruction des idées simplistes et univoques que nous devons pouvoir créer et ouvrir au-delà des convaincu-es. Affronter le pire par la violence n’ouvre aucun espace de rencontre avec celles et ceux qui se vivent loin de tout ce bruit. Nous devons continuer à espérer dans la capacité des humains à bâtir collectivement de la pensée critique. Partout où nous travaillons et rencontrons la diversité du monde, dans nos écoles, nos universités, nos centres de formation, nos entreprises, nos centres sociaux, nos hôpitaux, nos maisons de retraite, nos administrations…
Déjà s’ouvrent des espaces où des citoyen-nes se ressaisissent de leur vie, des espaces d’émancipation. Les dynamiques inventées autour de la journée de lutte pour les droits des femmes le 8 mars, à laquelle l’intersyndicale départementale CGT-FSU-Solidaires-UNEF s’est associée, a montré des façons renouvelées d’ouvrir le débat, d’affirmer qu’une autre société plus juste et plus égalitaire est possible entre les femmes et les hommes, qu’on ne peut penser la société à venir sans cette condition là. De même qu’il ne sera pas possible de penser notre monde sans prendre en compte la couleur des exils. Ne pas se laisser réduire. Notre action syndicale au quotidien doit permettre l’expression des idées de toutes et tous, quelles que soient leur place et leur classe. Qu’ils, elles puissent la dire résolument, naïvement, pesamment ou légèrement, mais prendre d’assaut tout espace d’énonciation. Et le prendre pour ce qu’il est réellement : face au flux ininterrompu d’injonctions et d’ordres, de fins de non-recevoir, notre espace de pensée est vital.

Catherine TUCHAIS