Ouiiinnnh… Ouinh Ouinh Ouiiinnnh… Ouinh Ouinh Ouiiinnnh ! (Au rythme de l’harmonica.)
Il était une fois dans l’Ouest l’Aliénation. Il était une fois un monde économique si parfait, si abouti que partout ou presque les gestionnaires avaient remplacé les politiques. Dans ce monde de performance et de compétition intégrée, la différence entre les droites et des gauches se mesurait à la couleur différente des cabinets d’audits. Le pragmatisme du réalisme gestionnaire valait toutes les idéologies. La société n’était plus qu’un champ de bataille économique, un marché ouvert aux concurrences. Les hommes et les femmes là-dedans ? Des variables d’ajustement, des joints de culasses, des CDD aujourd’hui, décédés demain.
Mais aujourd’hui tout a changé. L’emploi d’aujourd’hui pour être viable doit être rentable et se décliner en partitions d’accords mineurs. C’est le futur ex mari de Carla Bruni qui me l’a dit. Ah l’emploi ! Quoi de plus beau qu’un liftier d’ascenseur social au pair, un goal remplaçant jamais titularisé, un sculpteur sans statut, un animateur salarié sous contrat de bénévole, un titulaire à jamais remplaçant, un maître très auxiliaire, un thésard recyclé en note de bas de page, un juriste en fin de droit, un empileur éphémère de tête de gondole ? Camarades salariés, mascarades licenciées, nous sommes tous des intermutants du spectacle !
Les salaires ne sont qu’un détail du travail. Tous les patriotes de la qualité managériale vous le diront. Seule la mise en concurrence d’un salarié contre un autre, le challenge d’un hôpital contre un autre, le match d’un lycée contre un autre produit de l’intérêt général. Individualisez les salaires, y’aura moins de feignants ! Licenciez les fonctionnaires ça leur apprendra la vie ! Eh ! Toi le prof ! Fonctionnaire de ta rasse ! Nike ta gramaire ! Homme nouveau et irradiant, si tu veux réussir et palper gros, apprends le nouveau vocabulaire. Apprends le parler creux sans peine du manager moderne : l’excellence renforce les facteurs institutionnels de la performance. La formation clarifie les savoir-faire motivationnels des bénéficiaires.
Les retraites sont une calamité. D’ailleurs tout ministre comptable de Bercy reconverti en stratège social du vous le dira. Les gains de productivité à court terme assurent la rentabilité. Les investissements sur des cycles longs pénalisent l’économie. Si les vieux mouraient plus jeunes l’économie s’en porterait mieux. Qui veut le programme de 2012 ? La retraite à 70 ans, la grossesse à 6 mois, les bébés à la consigne, l’école à 10 ans pour les enfants loosers et on verra le bout du tunnel. La volatilité du marché social doit aller de pair avec la volatilité des marchés financiers. D’ailleurs, comme le disait dame MEDEF la vie est mortelle, le travail est mortel. Alors ! Retraités de notre pays, un petit effort pour nos finances. Mourrez ! N’aggravez pas la dette de vos petits-enfants !
La FSU n’étant pas un syndicat réformiste, concluons notre discours par une métaphore révolutionnaire empruntée à la barbe de Marx. C’est lui qui a défini le concept oculaire d’aliénation. Au 19e siècle, l’ouvrier payé même pas au SMIC, travaillait 11 à 12 heures par jour. Tel la taupe, il ne voyait rien. Il s’aveuglait au travail, troquant sa peau d’humain contre celle d’un mammifère de seconde zone enfermé dans une galerie sans fin. Les taupes sont symboliquement des damnés de la terre. Ouiiinnnh… Ouinh Ouinh Ouiiinnnh… Aujourd’hui, dans l’Ouest, la taupe est restée myope. Le problème c’est que l’humanité aussi. Et les syndicats s’ils restent divisés et campés sur des journées de grève sans perspectives seront aussi victimes de cécité. Nos grèves et manifestations ne doivent pas être le soleil noir de la mélancolie. L’image est de Nerval dont je ne sais si il était réformiste. Camarades taupes, ne laissons pas la dictature économique nous enterrer vivants ! On nous arnaque la matière première de nos existences. Le syndicalisme doit cesser de composer mollement au fond de ses galeries des grèves de 24 heures. Dégageons notre champ de vision avec des ambitions revenant aux sources de la condition humaine. Si le syndicalisme compose par trop avec l’ordre établi, il prend des bourrelets dans la tête. Il s’aveugle au patronat. Camarades taupes secouons-nous les lunettes, nos directions nationales finiront bien par nous suivre. Enfin moi ce que j’en dis, je suis myope.
Nantes, le 23 mars 2010
Didier HUDE