« Prenez garde aux cachots dont vous ornez vos murs ! Du treillage aux fils d’or naissent les noires grilles ; La volière sinistre est mère des bastilles. »

Victor Hugo, « Liberté ! »,
La légende des siècles, 1883

Depuis ces 4 mois qui nous séparent de la rentrée, nous avons eu à vivre un nouvel enchaînement d’évènements qui tous ont mis et mettent durement à l’épreuve notre lien à la liberté. Si la crise sanitaire nous « oblige » à des gestes et mesures barrières, c’est dans l’acception ancienne du verbe, qui est de prendre en considération l’autre, d’être son obligé·e, reconnaissant là que nous sommes lié·es par une prescription morale ou sociale qui nous permet de vivre les un·es à côté des autres. Quand un camarade, un collègue est assassiné pour avoir voulu expliquer la liberté d’expression à ses élèves, organiser un moment pour pouvoir mettre des mots, parler, se parler est une nécessité.  Mais quand face à ces situations qui toutes et tous nous bousculent, nous assistons à  l’obsession  gouvernementale  à encadrer chacun de nos actes, alors le verbe « obliger » prend sa signification la plus restrictive, celle de la contrainte. Sommes-nous à ce point des citoyen·nes incapables de penser nos responsabilités pour que les dirigeant·es nous somment de nous plier à l’unique réponse qu’ils·elles auraient décidée ? Pour qu’ils·elles veuillent nous faire accepter par la seule rhétorique de la peur la privation de libertés fondamentales, la logique de la sanction, et une société sous surveillance des un·es et sans surveillance d’autres ?

Le gouvernement Père Fouettard n’a de cesse de poser règles sur règles et de brandir la menace de la punition face à des citoyen·nes, y compris les plus jeunes, vis à vis desquel·les il n’a plus que défiance et mépris. Et les « états d’urgence » successifs, qu’ils soient antiterroriste ou sanitaire, ont mis le droit dans un drôle d’état, permettant d’inscrire durablement dans le droit commun des mesures dites exceptionnelles. C’est dénier ce qui fonde une société de droit que d’en user ainsi pour agir contre la population. Car c’est précisément parce que « la force des choses » (Jean-Jacques Rousseau) tend toujours à détruire l’égalité et la liberté que la force de la législation doit toujours tendre à les maintenir. Insidieusement, de petites entorses à peine visibles, en lois fanfares pour montrer qui est le chef, le gouvernement grignote nos libertés essentielles en détournant l’objectif même de la Loi qui  est  sensée nous protéger contre tous les abus.

Ainsi dans les choix face à la pandémie mondiale, la France est le seul pays européen à avoir mis en place un système de « dérogation obligatoire » avec sanction aux contrevenant·es pour justifier de nos sorties pendant le confinement. Ainsi, suite à l’hommage à Samuel Paty dans les établissements scolaires, le gouvernement n’a eu pour seule réponse face à des mots d’enfants qui nécessitaient, dans leur excès, écoute et analyse complexe que de les envoyer en garde à vue. On retrouve la même « mauvaise réponse » dans l’inspection diligentée conte la fédération des centres sociaux suite à un dialogue de sourd avec la représentante de l’État, où la pénalisation et l’injonction républicaine se substituent à toute réflexion sur les moyens donnés pour un véritable apprentissage à la déconstruction critique du langage. Dans cette même logique, la réforme du code de justice pénale des mineur·es votée au mois de décembre, en simplifiant la procédure pénale, renforcera la mise à mal de la primauté de l’éducatif sur le répressif.

Dans le champ de l’exercice de la liberté syndicale et de la liberté de manifester, les signaux sont au rouge aussi. Discrètement dans la loi de programmation de la recherche, qui en plus de la précarisation des personnels et l’ouverture au privé, signe une prise en main progressive du pouvoir politique sur les institutions académiques, un amendement a été glissé qui crée un délit de « trouble à la tranquillité ou au bon ordre de l’établissement ». Dans ce contexte, la loi de sécurité globale est venue comme la cerise sur le gâteau de cette boulimie législative et répressive. La section départementale s’est dès le 17 novembre mobilisée avec l’intersyndicale CGT-Solidaires-FO- SAF (Syndicat des Avocat.es de France) et les associations, pour organiser rassemblements et manifestations. Les mobilisations sont fortes, montrant combien ces atteintes à nos droits ne passent pas. Parce que la défense des libertés ne peut pas se crier « avec mépris, avec rage, avec haine » (Pasolini), parce que lutter pour la liberté c’est aussi lutter contre la terreur, nous avons dénoncé les violences qui ont eu lieu lors de la manifestation à Nantes le 5 décembre, dont l’attaque avec cocktail Molotov contre un policier et les agressions vis-à-vis des organisations syndicales de la part de groupes autonomes qui desservent, tout en se servant d’elles, nos luttes. Nous les avons dénoncées comme nous avons toujours dénoncé les violences policières contre les manifestant·es.

La litanie des mesures répressives ne s’arrête malheureusement pas là… : loi contre le séparatisme, et ce décret du 2 décembre, manœuvre presque passée inaperçue du gouvernement, « modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel » qui étend les surveillances de personnes suspectées d’activités terroristes à toute activité susceptible de « porter atteinte à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République » et permettra de ficher des données personnelles étendues aux opinions politique et syndicale.

La « liberté chérie » a bien triste figure et sa remise en cause gouvernementale est particulièrement inquiétante, ouvrant les portes à d’autres autoritarismes aux aguets. Dans quel état auront-ils et elles mis nos droits en sortant ? Sous prétexte de sécurité, sous prétexte de défense des principes républicains, l’État détériore lui-même ces principes, menaçant par là- même l’idée de démocratie. Or c’est un travail d’autocritique permanent auquel doit se livrer un gouvernement responsable : les principes ne valant que s’ils se traduisent d’effets, qu’en est-il de la promesse républicaine d’égalité, de liberté et de fraternité quand les politiques de répartition des richesses, de protection et de progrès social ont été saccagées sous le règne du libéralisme et de l’austérité budgétaire ? Qui aujourd’hui, après des mois de crise économique et sanitaire, paye réellement le tribut de l’insécurité sociale ?

Quand des gouvernant·es n’ont plus pour seule réponse que la pénalisation à outrance, la restriction des champs de libertés et l’incantation des valeurs de la république comme antidote magique, c’est qu’ils et elles sont aux abois. Continuer à nous mobiliser ; c’est dire que nous sommes, nous, les garant·es des mots qu’ils·elles ont relégués et de ce qu’ils·elles désignent, et que nous portons inlassablement l’espoir d’une société plus juste et humaine.

Catherine TUCHAIS et Bernard VALIN