Des vents de colères, porte-voix inédits et multidirectionnels
Depuis un mois, des mouvements spontanés de colères s’expriment dans notre pays. Le mouvement dit des gilets jaunes est venu confirmer, avec ses propres formes et outils, ce que depuis plusieurs années nos organisations syndicales dénoncent : la fracture et le sentiment d’abandon immenses que les politiques libérales choisies par les gouvernements successifs ont favorisés ; la précarisation et la fragilisation de l’accès aux droits essentiels des catégories sociales les plus démunies. Le gouvernement porte une immense responsabilité dans cette fracture qu’il a fabriqué en creusant le fossé entre celles et ceux qui possèdent et dont on protège les possessions sous forme de cadeaux fiscaux, suppression de taxation, et celles et ceux qui sont chaque jour un peu plus dépossédé-es.
La FSU de Loire Atlantique a décidé de prendre le temps d’observer et de comprendre ce qui se disait là, de quoi cela était le nom. Le rythme et l’injonction de réactivité imposés par les réseaux sociaux dans lesquels sont nés ces mouvements ne doivent pas nous enfermer dans une logique d’adhésion à tout prix. Au contraire, la nébuleuse de ces formats médiatiques oblige à la prudence de l’analyse. Le redire, c’est aussi rappeler que le travail syndical est du côté de l’émancipation individuelle et collective, qui nous invite à nommer et prendre conscience de nos oppressions quelles qu’elles soient. Les « réseaux sociaux » en sont une.
Au démarrage du mouvement c’est une taxe de plus, sur le carburant, qui a fait goutte d’huile sur la chaussée. C’était toucher là à ce qui symbolise ce qu’il reste parfois de possession, la voiture, quand on a été contraint-e de s’éloigner des lieux de décisions, vers des lieux vidés de leurs services, de leurs commerces, de leurs liaisons. Il y aurait pu avoir là un malentendu entre deux mondes, celui pour qui le milieu devenu hostile est l’état d’une planète en décomposition ; et celui pour qui le milieu hostile est un quotidien de vie devenu intenable. Intelligemment cette opposition là n’a pas eu lieu, chacun-e ayant conscience que cela relève d’un même ressort : celles et ceux qui devraient et peuvent payer ne payent plus, et le financement est reporté sur les classes moyennes et populaires, via des taxes, des ponctions sur les budgets des services publics, ou la diminution de la protection sociale. Si les colères se sont déclenchées sur le ras-le- bol fiscal, c’est que le pacte qui s’y rapporte a été brisé par des choix qui rendent illisibles l’usage quotidien de l’argent public. Le consentement à l’impôt, fondement du contrat social et citoyen, ne peut être accepté que s’il est juste. Or il ne l’est plus quand l’augmentation de la part des prélèvements proportionnels (TVA, CSG) devient un poids insupportable dans les budgets modestes, alors même que les plus fortuné-es se voient exonéré-es d’une part de leur contribution. Et quand les services publics qu’il est sensé financer s’effritent et disparaissent des radars d’un nombre croissant de territoires.
Ces mouvements sont complexes et leurs revendications et composantes diversifiées voire en vents contraires. L’exécutif de la FSU de Loire Atlantique a fait le choix devant cette réalité là de la prudence. Un grand nombre de revendications « sociales et économiques » des gilets jaunes sont venues s’agréger à celles que nous portions déjà : justice sociale, lutte contre la précarisation et la paupérisation d’un nombre grandissant de citoyen.nes, égalité d’accès aux droits et développement des services publics… Leurs mobilisations ont permis de redonner du souffle et un espace de paroles nouveau aux retraité•es malmené•es, aux étudiant•es et lycéen•nes soumis•es aux lois du tri et de la sélection, aux agents des services publics déconsidérés, aux salarié•es précarisé•es… Mais il y a aussi dans les revendications énoncées certaines paroles que notre syndicalisme ne peut rejoindre. Celles qui excluent les pauvres d’ailleurs, cherchant refuge et survie ici où il y a assez de richesses pour subvenir aux un-es et aux autres. La lutte contre l’extrême droite et ses idées, qui attisent la haine là où devraient se construire des solidarités contre toutes les formes d’exploitation, reste aussi pour nous une lutte syndicale.
La FSU de Loire Atlantique a aussi pris acte que ces mouvements hétéroclites ne nous attendaient pas ni ne nous réclamaient. Ils ont voulu se faire entendre autrement et ont volontairement choisi d’autres voies que les formes de représentation dans lesquels nous nous inscrivons. Il y a là une demande de démocratie directe et cette co-existence est plus que saine. Ces formes ne s’opposent pas, elles n’ont pas à être hiérarchisées ni ignorées. Cette parole que les « privés de parts » – pour reprendre le terme de Jacques Rancière – ont pris se fait entendre et vit côte à côte avec des revendications que le mouvement syndical porte depuis longtemps dans le champ qui est le sien, celui de la défense et de la protection des salarié.es, privé.es d’emploi et retraité.es. Cette façon inédite nous invite bien sûr à repenser la question de la représentativité car celle-ci ne fait pas démocratie si elle reste une parole réservée.
Le baromètre des élections professionnelles
Dans ce contexte social, porteur de dégagisme, les élections professionnelles dans la Fonction Publique ont pris une tournure particulière comme marqueur de la capacité des syndicats à jouer encore leur rôle de protection des salarié.es. C’est toujours un moment à risques pour les corps dits intermédiaires, particulièrement malmenés dans les contre réformes en cours. La participation au niveau national pour l’ensemble des scrutins a enregistré une baisse de presque 3 points et cela doit être pris en compte. La CGT reste en tête dans les fonctions publiques mais la CFDT s’en rapproche, qui devient premier syndicat public privé confondu. Pour autant, certains secteurs ont vu une augmentation de la participation, comme à l’éducation nationale, où la FSU se maintient comme premier syndicat. Dans certains autres champs ministériels, elle gagne des sièges, comme c’est le cas à Jeunesse et Sports et à l’Environnement. En Loire Atlantique, la FSU gagne un siège au Comité Technique Spécial Départemental. Il ne s’agit pas là de faire dans l’autosatisfaction mais de regarder les dynamiques possibles : l’implantation militante, l’action au quotidien, le travail d’analyse.
Il nous faut regarder avec lucidité ce que nous avons à rebâtir dans ce paysage de contestations inédit aujourd’hui à l’œuvre. Le syndicalisme n’a d’intérêt que s’il est en mouvement mais sans se précipiter dans un mirage de sauvetage de l’action syndicale via des mobilisations aux contours parfois flous. L’outil syndical peut faire du lien entre les exaspérations des populations et nos revendications, là où il y a des dynamiques à servir, et en travaillant les contradictions. Il ne s’agit pas de le faire d’une façon « générale », qui fait courir le risque d’une illisibilité de notre place syndicale et d’un amalgame avec des revendications que nous ne pouvons partager, mais de partir de revendications circonstanciées et précises dans des champs qui sont les nôtres et dans lesquels nous pouvons construire avec d’autres, sans instrumenter. Les mobilisations partagées avec les lycéen-nes, avec les représentant-es de parents contre une réforme des lycées et le dispositif Parcoursup qui organisent la sélection sociale et économique, en est une illustration vivifiante. Même si cela n’est pas facile dans une période où notre représentativité est fragile, il nous faut avoir des convictions nous aussi et une posture syndicale lisible.
Catherine TUCHAIS