Tout dépend de nous !

Il était une fois un gentil Premier ministre tout émus de l’inégalité de retraite entre un chauffeur de bus du Havre ou de Bordeaux et un parisien mais il avait oublié, ou voulait ignorer, que le principe de la loi de mai 1946 est la généralisation de la Sécurité sociale à tout résident français dans un régime unique. Si son article 29 prévoyait que des professions gardent leur réglementation autour de leur propre caisse ce n’était que « provisoirement », le temps de construire un régime général « aligner vers le haut ». Dès 1947, le patronat s’employa à empêcher toutes nouvelles avancées sociales.

Les régimes spéciaux, ça n’existe pas, ce sont des régimes adaptés, c’est normal. Même J-P Delevoye le dit sur France-Info : « Comment imaginer qu’un militaire puisse à 64 ans continuer à faire des opérations militaires, comment imaginer qu’un policier puisse jusqu’à 64 ans… »

[J’ouvre une parenthèse pour faire remarquer, à qui ne l’aurait pas entendu, le beau lapsus du Haut commissaire : lorsqu’il évoque l’âge de départ à la retraite, c’est 64 ans qui lui vient à l’esprit, l’âge pivot, pas l’âge légal… je ferme la parenthèse.]

Il arrive à imaginer jusqu’à 64 ans des travailleurs du BTP, des infirmières et des aides-soignantes, des pompiers, ceux qui, par terre, air et mer ont la responsabilité de centaines de passagers parce que comme Macron le lui a demandé, il raye « pénibilité du travail » de son vocabulaire.

Dans leur esprit, « un système juste » est un système qui ignore l’inégalité sociale de l’espérance de vie. Ils veulent faire disparaître les statuts collectifs pour laisser l’individu seul face à son destin.

 

Il était une fois un président, un syndicaliste et même un économiste auteur de best-sellers, tous épris de justice sociale, qui partageaient une idée pleine de bons sens : une retraite par points pour qu’« un euro cotisé donne les mêmes droits » mais ils avaient oublié le grand oral de Fillon devant les patrons en 2016 qui avouait « ce qu’aucun homme politique n’avoue », « le sytème par points, en réalité, ça permet de baisser chaque année le montant des points, la valeur des points et donc de diminuer le niveau des pensions, voilà… »

Ils feignent de méconnaître un royaume fort, fort lointain, la Suède dont le premier ministre a dit : « Nous avons le meilleur système de retraites au monde », un sytème à points depuis 20 ans qui semble beaucoup avoir inspiré le rapport Delevoye, « avec le seul petit défaut, il donne des pensions trop basses ». Résultats : près de 15% des plus de 65 ans vivent sous le seuil de pauvreté (7,5% en France), les pensions de retraite ont baissé de 10% depuis 2010.

En France, depuis 1946, la part du PIB accordée aux retraites est passée de 4% à 14%. Le gouvernement et le patronat ne veulent pas dépenser un euro de plus. Il leur faut bloquer à 28% le montant des cotisations sociales, à 14% la part du PIB consacrée aux retraites. Ils veulent rompre avec le projet du Conseil National de la Résistance qui a mis sur pied une Sécurité sociale à vocation universelle pour des droits en progrès. Ils ont un autre projet de société, celui de la flexibilité et de l’Uberisation : c’est incompatible avec les régimes de retraites existants, avec l’Assurance chômage, avec l’Assurance maladie.

 

Il était une fois un Etat qui voulait tout, tout diriger, de l’Assurance chômage au budget de la Sécurité sociale afin que grâce au transfert des cotisations socialisées vers l’impôt maîtrisé, il puisse asphyxier toute protection sociale de ses citoyens mais il les avait oubliés, ces gens, ceux d’en bas, des ronds-points, de partout, qui s’informent aussi, qui protestent bien trop, qui manifestent encore et qui ont le pouvoir de bloquer la machinerie ultra-libérale.

Nous ne nous laisserons pas endormir par des contes qui n’ont rien de populaires mais qui ont le goût amer de ceux de Walt-Disney, le goût du capitalisme.

Sans doute ne nous souvenons nous pas des mots exacts d’Ambroise Croizat qui présentait à des ouvriers en 1946 le projet de la Sécurité sociale : « Désormais, nous mettrons l’homme à l’abri du besoin. La tâche qui vous incombe est immense, car la Sécurité sociale n’est pas une affaire de lois et de décrets. Elle naîtra de vos mains. Tout dépendra de vous ! »

Nous ne nous souvenons pas tous des mots mais nous conservons leur esprit pour défendre des droits pour toutes et tous, des droits de progrès social, un esprit d’humanité, un esprit de combativité.

Tout dépend de nous pour défendre aujourd’hui notre Sécurité sociale, un aujourd’hui qui ne se limitera pas à ce black thursday mais qui se poursuit demain dans les services et les entreprises pour décider de reconduire la grève, samedi pour une nouvelle journée de rassemblement. Nous devons construire des journées noires, noires de monde, capables de faire reculer ce gouvernement pour ensuite réaliser enfin tous les objectifs du CNR.

Erick LERMUSIAUX