Certains des sujets de philosophie sur lesquels les candidats au baccalauréat ont eu à réfléchir en ce mois de juin viennent faire écho à la situation sociale et politique à laquelle nous sommes confrontés. Se questionner sur « La morale est-elle la meilleure des politiques ? », dans un contexte où la mise en opposition entre ce qui est efficace et ce qui est juste est érigée en principe de non-choix possible, n’est pas une mince affaire. Les gouvernements qui se succèdent nous ont préparés à une traduction univoque de l’efficacité, qui consiste à affirmer la primauté et le pragmatisme qui serait nécessairement propre de l’économie monétariste et libérale. Les salarié·es sont évalué·es du point de vue du dividende, les retraité·es et les chômeurs·ses à l’aune de ce qu’ils pèsent dans l’idéologie déficitaire, les services publics en tant que produits à vendre, ce qui est utile et nécessaire aux un·es et aux autres comme une valeur d’échange. Le principe de l’accumulation monétaire vient priver les citoyen·nes de toute idée de partage ou de distribution, et anéantir la conception d’une politique qui doit d’abord « plier le genou » devant le droit avant que de se prosterner devant la finance.

Des élections et des autres façons de faire politique

Le respect envers le politique, au sens de la capacité à mettre en perspective historique et humaine les décisions prises, en a été ruiné. La faible amélioration de la participation aux élections européennes ne suffit pas à cacher la méfiance et la désaffection des citoyen·nes vis-à-vis des politiques. Le mouvement des Gilets jaunes est venu crier cela : la meilleure des politiques, celle qui doit tendre d’abord à protéger ses adminstré·es, à leur assurer une vie digne et l’accès à tous leurs droits, a été abandonnée au profit de la logique monétariste. Et de cela nous ne voulons plus, nous n’en pouvons plus. Des secteurs se mobilisent contre des projets de lois régressifs et inégalitaires, pour dénoncer des conditions de travail et de prise en charge des usagers inacceptables : à l’Éducation nationale, dans les services des Urgences et les hôpitaux, dans les EHPAD, dans le secteur de la petite enfance, dans les services des finances publiques… Il n’est pas facile de maintenir ces mobilisations dans la durée, mais relier ces luttes qui dénoncent au fond la même orientation politique, c’est aussi dire que nous pouvons être des relais les uns des autres pour (se sou)tenir. Cela est une nécessité alors que les résultats des élections européennes n’auront pas changé le cap des politiques initiées, permettant même à LREM de continuer à faire croire en la légitimité démocratique de ses orientations politiques ultra- libérales. Les annonces sur la réforme des retraites, dossier majeur de la rentrée sociale, sur la réforme de l’assurance chômage, dont les personnes en situation de précarité seront les premières victimes, les privatisations ou les démantèlements de services publics, voici le programme des mois à venir face auquel nous devons bâtir des analyses et des moyens d’action renouvelés.

Cette question de philosophie remet au centre du débat des mots que l’on n’ose parfois plus utiliser. La morale en est peut-être un que nous devons réaffirmer en tant que philosophie de la nécessaire prise en compte de l’Autre dans toute décision, du jugement sur les conséquences humaines des actes posés. Les mots ne s’usent que si nous les oublions et ils ne se figent que la langue des résignés. Ne nous résignons pas, il y a des voies à prendre, des formes nouvelles à créer, des espaces pour dire non à cet alignement sur le pire. Le référendum sur la privatisation d’ADP, aussi imparfait soit-il, en est une illustration, si les conditions, dont techniques, sont réellement réunies pour sa réussite. Nous devons nous en saisir pour tenter par tous les leviers possibles de stopper le rouleau compresseur libéral.

Catherine TUCHAIS