La crise sanitaire que nous traversons a rappelé et aggravé de façon criante les inégalités produites par notre société, et les conséquences désastreuses d’années de démolition des services publics. Elle a montré à quel point nous avons besoin que ceux-ci soient dotés humainement et en moyens, en particulier dans le secteur de la santé, mais aussi dans l’éducation, le logement, la protection sociale en général. Elle nous a permis de réaliser ce qu’apportait de liberté, d’émancipation et d’ouverture l’accès à la culture, tout comme elle a mis à jour que les métiers essentiels à la survie d’une société étaient les moins bien payés…. La société civile a su multiplier les initiatives de solidarité, assurant la continuité de la vie sociale aux côtés des personnels soignants et hospitaliers – malgré un scandaleux contexte de dénuement, des agent·es des services publics, celles et ceux de l’éducation, des services territoriaux… De tout cela et de cette crise nous devons tirer des enseignements.
Loin de n’être que sanitaire, la crise s’est révélée environnementale, diplomatique, politique, sociale et économique. Mondiale par définition, la désorganisation née de la pandémie a mis à bas les règles d’organisation de la production et de l’échange qui prévalaient dans le « monde d’avant ». Pour autant, loin de liquider les maux de ce vieux monde, elle en a exacerbé les tares. Le déconfinement ne rime pas avec la sortie de crises… Si les signaux sanitaires disent un éloignement du risque de contamination – à regarder avec prudence – les signaux économiques et sociaux sont très inquiétants, dans notre département en particulier dans l’aéronautique, chez Airbus ou les sous-traitants des chantiers navals…. L’urgence devrait être à la solidarité et aux partages des richesses, au refus de plan de licenciements, à la protection non seulement médicale mais sociale des citoyennes et citoyens… Rappelons-le : les conditions de vie participent de la santé.
Mais le gouvernement s’acharne : à prévoir un plan de « rationalisation » des hôpitaux (austérité, fermeture de lits, augmentation du temps de travail…) ; à maintenir en la reportant la réforme de l’assurance chômage alors qu’on annonce un taux de chômage à plus de 11 % pour mi-2021 et que la précarité va augmenter ; à vouloir aussi faire aboutir en catimini celle des retraites…
Il profite du flou semé par des semaines de protocoles sanitaires changeant et empêchant l’exercice correct du métier pour tenter de déshabiller l’école d’une approche complète de l’éducation et privilégier la marchandisation de certaines disciplines. Les professionnel·les du spectacle, du sport, de l’animation se retrouvent victimes d’un chantage à l’activité qui divise là où les approches se sont toujours complétées. La reprise en présentiel du travail dans nos différents secteurs se fait dans des conditions inégales, difficiles quand une pression est exercée sur les agent·es pour revenir travailler malgré les incertitudes. Le constat commun est que l’objectif des autorités, au-delà de la sécurité des personnes, est avant tout la reprise économique. La vigilance doit donc demeurer devant les mesures dites d’exception prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, car certaines pourraient devenir la règle, atteignant ainsi le droit du travail, le statut des fonctionnaires, l’égalité républicaine, le sens des métiers… La question des mobilisations – interprofessionnelles comme sectorielles – devra être posée dans un cadre unitaire si le gouvernement entend poursuivre ses attaques.
Si le jour d’après du gouvernement ressemble, voire en pire, au jour d’avant, nous avons en tant qu’organisation syndicale à nous saisir de ce qui s’est passé et se passe là. Ce moment de crise doit faire l’objet d’analyses politiques et fournir l’occasion d’un questionnement sur les enjeux écologiques et sociaux. C’est l’objet du collectif national Plus jamais ça : Ensemble construisons le jour d’après que nous tentons de mettre en place en Loire-Atlantique dans le cadre d’un comité local. Nous avons plus que jamais du commun à défendre, comme nous avons à défendre la liberté de l’exprimer dans l’espace public – sans crainte d’une répression toujours plus affirmée que l’anniversaire funeste de la mort de Steve Maia Caniço et l’actualité viennent nous rappeler.
Aux premiers jours de la pandémie, la Haut-commissaire aux droits de l’Homme des Nations-Unies, Madame Michelle Bachelet, avait affirmé que dans cette période « les droits de l’Homme doivent être au cœur des décisions ». Gageons et agissons pour qu’ils soient aussi l’horizon d’une société dont l’urgence de transformation est devenue encore plus criante. Espérons-la marquée du primat de l’écologie, structurée par la réappropriation du sens de la vie, du travail et des solidarités. Pour que le jour « d’après » ne soit pas pire que le jour « d’avant », nous avons aujourd’hui un immense besoin de déconfiner nos débats, nos confrontations d’idées et de décisions, et de, comme l’écrit Malik Salemkour, président de la LDH, « réaffirmer la liberté et l’égalité d’une humanité partageant sans hiérarchie l’ensemble vivant que porte notre planète » pour enfin « accélérer la mue du réel, et en déterminer le sens ».
Catherine TUCHAIS et Bernard VALIN