Méan-Penhoët ! Penhoët penn kalet ! Penhoët tête de bois ! Penhoët la cabocharde ! Saint-Nazaire la communarde ! Si vous interrogez les civelles qui passent près des bassins elles vous diront que si elles viennent en Loire, c’est uniquement parce que de mémoire d’anguille on ne peut faire cap sur les sargasses sans avoir vu Saint-Nazaire. Saint-Nazaire, entre terre et eaux, ville de marais construite et pétrie par de la fierté ouvrière. Ville où on a rasé le passé et où on ne sait jamais comment peut se bâtir l’avenir.
Saint-Nazaire ville paradoxale. Ville de la destruction vouée à la construction, ville de la pauvreté qui échafaude du luxe. Ville des anarchistes bleus, aux germes libertaires qui font que tout le monde est un peu anar sans forcément le vouloir, ni toujours s’en rendre compte. Ville de paradoxes oui, qui ne fait rien, ou si peu, comme tout le monde. Ici, quand un curé s’appelle Patron, c’est un sacré jojo qui finit syndicaliste à la sociale : un comble ! Ici, même l’UMP n’est pas comme ailleurs : c’est un club de sports, laïque qui plus est.
Saint-Nazaire est un peu comme sa base sous-marine, elle s’entête à résister. Cette résistance des chantiers, c’est celle de tout l’emploi industriel. C’est une résistance qui pense plus loin que le bout de son nez, en voulant changer les paramètres de la mort annoncée, comme le dit si bien Jean-Bernard Pouy. Ici, la classe ouvrière n’a pas résumé sa condition humaine à perdre sa vie à la gagner. Dans leurs combats, dans les victoires et les défaites, les fumées de soudures et l’amiante, les femmes et les hommes des chantiers ont dégagé des horizons qui vont au-delà des grues de Penhoët, de la grand-mère et de ses filles du port.
Malgré son petit Maroc, Saint-Nazaire n’est pas touristique. C’est là un très gros défaut. Faire disparaître usines et populos doit pouvoir rapporter gros. C’est connu. Les pauvres ont pas de goût, leurs maisons sont moches et leurs usines puent. Alors qu’un promoteur ça front de merdise tout beau. Faire tomber la navale, avec elle l’emploi industriel et toute la sous-traitance, voilà un programme chatoyant pour des amoureux de l’argent. Prolonger La Baule jusqu’à Trignac, libérer Donges de ses raffineries et la verrue prolétaire disparaîtra ainsi. La tentation n’est pas nouvelle. Déjà, sous Olivier Guichard il y a 40 ans, les marais salants de Guérande ont failli disparaître sous les projets des promoteurs. Les mêmes intérêts sont aujourd’hui en jeu. Si la navale tombe, comme la presqu’île hier, Saint-Nazaire sera demain à vendre avec vue sur la Loire et sur l’Océan. Il y aura juste à trouver des transitions. C’est le mari de Carla Bruni qui nous l’a dit. Tout comme pour avoir la paix il faut préparer la guerre, la navale pour ne pas mourir civile doit construire du militaire. Dieu que la guerre économique est jolie ! Le Tsar Kozy a eu cette idée salvatrice avec son ami russe de la mafia MEDEF Medvedef : on partage moitié-moitié, tu construis en Russie et moi à Saint-Nazaire. Mais cet arrangement entre amis oublie, donc engloutit, la quasi totalité de la sous-traitance et des ses emplois sauf à vouloir par exemple enjoliver de marqueterie les soutes d’un porte chars d’assauts. Quand il ne restera plus que le noyau dur des chantiers, le dernier carré du cœur de métier n’en sera que plus facile à réduire.
Depuis Napoléon et sa retraite de Russie on sait pourtant bien qu’en dernier carré la garde meurt même si elle ne se rend pas.
Si l’emploi industriel disparaît de l’estuaire, il ne sera pas possible d’enrayer la mutation économique, sociologique et politique voulue pour la Loire-Atlantique. La fierté nazairienne ancrée dans la fierté ouvrière et ses savoir-faire, avec ses outrances portuaires, fait partie de notre patrimoine et de nos utopies sociales. En Basse Loire, notre noblesse c’est la classe ouvrière. Défendons-nous, défendons-là. Comme on dit ici, tous ensemble mettons-nous à la masse. Au cœur des vases fertiles les hommes ont fait de Saint-Nazaire un phénix breton où le travail est devenu culture. Un phénix ça vit des millénaires. Notre heure n’est pas venue de finir en Musée.
Didier HUDE