Si vous rencontrez sur votre route un Chanoine du Latran, il vous dira qu’un instituteur républicain ne vaudra jamais, ni dans sa tête, ni dans son cœur, un curé des villes ou des champs.

Si vous croisez en chemin un politicien populiste devenu PDG d’Etat, qui fait de chaque drame une affaire d’Etat, il vous dira qu’un juge de Basse Loire vaut moins pour la justice civile qu’un air de musique militaire ; qu’un présumé coupable se doit de passer à table.

Si vous apercevez entre deux nuages un avion de Bolloré, un yacht avec des ailes, un vacancier ministériel, à moins qu’il soit présidentiel, il vous dira qu’on peut faire plus, et beaucoup plus avec du moins.

Parce que chez ces gens-là, monsieur, on gouverne au pas, on ne gouverne pas : on compte.

On pourrait attendre d’un président qu’il ait la stature d’un homme d’Etat, qu’il soit autre chose qu’un politicien. On pourrait caresser l’idée qu’un ministre de la santé soit plus qu’un ministre de l’hôpital, des virus et des médicaments, qu’un ministre de la justice soit autre chose qu’un ajusteur de carte pénitentiaire, qu’un gestionnaire de flux de prisons. On pourrait rêver qu’un ministre de la police en république ait du respect envers ses flics au lieu d’avoir pour seul bréviaire que la répression sur un air de flash-ball, ou encore l’expulsion sur un taser ou bien de bulldozer. On pourrait rêver, mais là c’est du vice, qu’un ministre de l’éducation, nationale, soit au service de la construction des consciences et des savoirs pour la réussite de tous les jeunes, au lieu de mettre à son service, ses recteurs et ses inspecteurs, ses vecteurs et ses directeurs, pour décliner l’incurie de la pénurie.

On pourrait rêver. Mais chez ces gens-là on ne rêve pas monsieur : on gère. On directive européenne, on libéralise la crise, on assaisonne du Lisbonne. La France est une entreprise, notée comme telle, cotée comme telle, administrée par des ministres devenus DRH.

L’ambition, l’obsession, la raison d’Etat, dès que cet Etat en langes vient au monde, c’est d’être noté et tout son peuple avec lui, noté du triple A. A comme Austérité, A comme Abandon des solidarités et services publics, A comme Asservissement aux marchés financiers. Ah, noté du triple A. Dans un pays bien fait, le peuple élu travaillera plus et le reste en suce, le peuple en bonnet d’âne finira chèvre dans un mécompte de « Pôle Emploi ». La crise d’aujourd’hui est une crise financière certes, mais aussi politique et idéologique. Pour qu’il y ait réussite des uns, il faut qu’il y ait exclusion des autres.

Car chez ces gens-là, on n’enseigne pas, monsieur, on n’éduque pas : on trie et on formate.

Pour ces gens-là « l’enfant » n’est pas le « dernier poète d’un monde qui s’entête à devenir grand » comme a pu le dire Jacques Brel. _ L’Ecole n’est pas là pour donner plus à ceux qui ont moins. L’Ecole se doit de préparer au monde de l’entreprise, elle-même intégrée à la galaxie des marchés.

Cette nécessité, cette contingence biologique nous dirait la première dame du MEDEF, est nécessairement odieuse aux yeux d’un éducateur, d’un enseignant républicain, d’un has been de gauche.

Aujourd’hui, les recteurs augmentent leurs primes en supprimant des postes, les proviseurs se voient transformés en chefs d’entreprise avec des salaires bonifiés à partir eux aussi des emplois supprimés. Ce retour sur investissement n’est pas assez explicité. La PFR de la fonction publique est une machine abjecte, profondément réactionnaire, aux antipodes des mécanismes à mettre en œuvre pour nourrir des desseins et des destins solidaires donnant du sens au mot et au concept de République. La politique du chiffre a des facettes que des consciences ignorent.

Au-delà de la réduction drastique des moyens, les choix éducatifs qui sont faits dégradent les conditions de scolarisation et d’enseignements de l’ensemble des élèves : formation des enseignants, réforme des trois voies du lycée (général, technologique et professionnelle), dispositif (E)CLAIR, l’aide aux élèves en difficulté, abandon de l’éducation prioritaire… À cela s’ajoute des déclarations et des expérimentations qui remettent en cause la nature et le sens des métiers.

Au pays de la politique du chiffre, des pertes et des profits, les peuples sont des cheptels, les boucs sont émissaires sur l’autel du mérite. Question de biologie ! La compétition c’est la vie ! RSA éducatif pour les uns – car maintenir des sous doués sociaux a un coût – et parcours d’excellence pour les autres, correspondent à une idéologie du tri sélectif dans laquelle on retrouve aussi des femmes et des hommes d’alternance au régime actuel. Comme quoi on n’est pas à l’abri de la pensée ségrégative même après 2012.

Notre tourmente de l’instant est autant financière que de civilisation car il faut manquer de conscience pour ne pas voir ce qu’une « école d’abattage » ou une « justice d’abattage » peuvent produire de dégâts humains, donc politiques. En République, la justice des hommes se prononce avec des moyens principalement humains dans des lieux solennels et pas à la sauvette ou dans des institutions privées. L’éducation est affaire de moyens humains si on veut faire de la pédagogie et traiter l’inégalité sociale. C’est faire le pari de l’intelligence collective contre la barbarie financière. Il s’agit là d’un vrai projet de civilisation. C’est probablement lui qui dessine les contours d’une pensée politique et syndicale de progrès humain et social face à des pratiques objectives d’accompagnement des régressions en cours. Et nous savons tous que ces accompagnements sont autant politiques que syndicaux. Intégrer les schémas de pensées qu’on est supposé combattre ce n’est pas seulement en rabattre, c’est déjà capituler. Ah pas moi dit le dindon !