Y’a pas de vestiges du Moyen-âge ou de la Renaissance à Saint-Nazaire. Les seuls monuments historiques, à part la base sous-marine indestructible, c’est le paysage des grues et des carcasses d’usines qui hérissent les abords de la ville, hanté par les fantômes des forges de Trignac. Ici, sous le bitume, les fumées et les embruns, les pavés ont toujours ignoré les roues des carrosses des cités bourgeoises. Les pavés et les rails ne se souviennent que des 10 000 ouvriers qui, à la débauche, se déversaient, à pied, en pluies de vélos ou de solex dans l’avenue de Penhoët, le boulevard des apprentis, la rue des chantiers… D’ailleurs ici, parole de médecin, c’est la bonne ou la mauvaise santé des chantiers, de l’aérospatiale ou du port qui fait que t’as, ou non, le corps malade. Quand les chantiers toussent, les commerces s’enrhument, les écoles ferment.
Le savoir-faire des « play-mobil » est connu partout. À Saint-Naz, les « play-mobil » c’est les hommes bleus au casque blanc des chantiers. Leurs prouesses sont connues de bateaux en bateaux, du France au Queen Mary, du Queen Mary au queen merdique, de la forme Joubert au bassin C. Mais que reste-t-il d’un savoir-faire quand la mondialisation chausse la seule lorgnette des profits ? Que pèsent des milliers d’ouvriers, des bureaux d’études et des sous-traitants face à la logique organisée des politiques d’armements dans le monde ?
Dans des temps pas si lointains, de mémoire de civelles, on faisait des grèves de deux sortes à Saint-Nazaire : l’une à l’époque où on plante les patates et l’autre au moment où on les récolte. Mais aujourd’hui, dans la navale, le salariat est éclaté. Les patrons sont à l’étranger. Les grèves leurs glissent sur les plumes et, la bouche en cul de poule, comme la poupe d’une HLM de mer, les nouveaux patrons n’ont plus qu’un spectre à agiter : la sacrosainte délocalisation. Ici des agences d’intérim avaient déjà remplacé des cafés, maintenant elles ferment aussi. Victimes collatérales des nouvelles formes d’esclavagisme qui font que les nouveaux immigrés sont ceux des colonies du fric, des pays du salaire au rabais, où les misères ont formé des continents.
Saint-Nazaire doit sauver sa navale. Mais sauver sa navale c’est peser sur les choix de l’armement au niveau mondial. C’est agir sur l’organisation et les droits du travail partout dans le monde. La concurrence libre et non faussée est un piège pour l’humanité. Pour réussir la mondialisation des peuples, il faut d’abord édenter les requins du capital. Ceux-là même qui ont la bouche en cul de poule, ce capital, et son actionnariat, qui n’aime que l’argent mais pas le travail. Sans pression politique mondiale, les déséquilibres industriels ne vont faire que s’aggraver. La planète ne va faire que s’abîmer toujours plus dans la course aux profits. Déjà, à Saint-Nazaire les civelles sont moins nombreuses, les ouvriers aussi.
Le port tient largement sur des énergies fossiles qui s’épuisent. Le gaz de l’estuaire est parti au Japon remplacer pour un moment le séisme d’un nucléaire promis aux déchets. Airbus est encore là, toujours sur son buttal, fiché sur ses racines industrielles. Pour combien de temps ?
L’emploi industriel, si on le veut tous, peut être préservé partout, dans le respect de l’environnement. Mais il faut pour cela avoir une action internationale déterminée. Un vrai sursaut industriel suppose une volonté politique nationale et des accords internationaux de régulation. Proposons à Arnaud qu’il monte au bourg nous voir puisqu’il est désormais en charge de l’industrie. Que le ministre vienne avec nous conjuguer notre futur improbable. Car pour bien résister, il faut savoir résister plus loin que le bout de son nez.
Ville d’estuaire, Saint-Nazaire ne s’enfoncera pas dans les marais. Foi de solidarité ouvrière !