Le drame amoureux consiste à donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. Le drame du gouvernant c’est de ne pas donner ce qu’il y a, à quelqu’un qui en veut. Cela tourne autour du partage des richesses, des valeurs de solidarité pour construire une autre humanité. En cette rentrée, la confiance s’étiole.
En Europe monétaire plus qu’économique, quand on est stable et gouvernant, au MEDEF, on danse avec les loups, sur le pavé, on Vals avec les Roms. La Justice a un malaise, le redressement caresse l’espoir d’être productif, l’emploi attend toujours l’avenir, le « précariat » fait main basse sur le salariat. La conférence sociale de juillet a dégagé des chantiers prioritaires. Reste à les mettre en œuvre pour passer des annonces aux effets. Car les freins et les guides de la technostructure ont peu changé. D’un régime l’autre, les « cercles » et les « think tanks » ont le même ADN formaté aux logiques de la Finance, à l’ordre économique mondial basé sur les profits. Cette technostructure concède certes des espaces de jeux politiques (éducation, formation, rythmes scolaires…), à la condition que les politiques intègrent et partagent la ligne dictatoriale dite libérale.
La conférence sociale début juillet n’a pas empêché fin juillet le premier Ministre de prendre en catimini des décisions qui aggravent la RGPP au plan départemental en renforçant le rôle des Préfets et supprimant de fait des services ministériels à cet échelon. Le 12 septembre, le président de la République signe un accord avec les régions pour amorcer la décentralisation à venir en leur confiant tout le pilotage de l’orientation. Pôle emploi est ainsi directement exposé à la régionalisation, l’orientation scolaire aussi. Des rumeurs insistantes courent sur des transferts revendiqués de la vie scolaire aux collectivités, y compris des filières administratives scolaires en établissements, pour ne laisser subsister comme personnels d’Etat que le cœur de métier : les enseignants. Tout ça c’est la continuité sans le changement.
Au plan européen, le président fait dans le tango du pragmatisme. Les convergences entre Etats sont à construire autour de règles économiques assurant les conditions non faussées des concurrences pour la maîtrise des marchés. Au cœur des enjeux, il y a Le devenir européen des retraites, les harmonisations en cours sur l’ensemble de la protection sociale et du mutualisme, l’évolution des services publics, la place des Etats et la construction d’un fédéralisme de régions… Si la RGPP n’est toujours pas remise en cause aujourd’hui sur l’essentiel de ses aspects (diminution des ministères et du maillage territorial, contrainte globale des emplois publics), cela répond à une volonté politique épousant la pensée dominante dans une version sociale du libéralisme économique. La décentralisation à venir correspond aussi à l’Europe des Régions en construction. Il faut savoir nommer les choses et les faits.
Au printemps 2012, alors dans l’opposition, le gouvernement actuel s’est abstenu sur le vote du Mécanisme Européen de Stabilité (MES), demandant l’ajout d’une formule autour d’un « pacte de croissance » pour accepter l’austérité budgétaire. Après tractations rapides début juillet, à l’automne, le Président Hollande estime nécessaire de faire adopter ce MES devenu Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de l’Union économique et monétaire. Avec le TSCG il n’y aura plus de déficit public possible (0,5% au maximum). Les investissements à long terme, indispensables au développement économique et social, à la « transition » écologique, seront largement hypothéqués.
Ce n’est pas seulement le « Non au TCE » de 2005 qui en prend un nouveau coup, c’est surtout l’aveu de l’adhésion à un modèle économique qui vit sur la puissance financière construite loin des souverainetés populaires dans une Europe où les décideurs n’ont pas pour souci la démocratie mais l’assurance des profits. Cette logique condamne nos services publics, notre système solidaire à la Française. L’Europe de la discipline fiscale ne fait que servir les banques à but lucratif.
La crise actuelle devrait faire s’ouvrir les yeux de tous les syndicalistes ! Cette crise est une crise de surproduction du capitalisme qui a fait baisser la part des salaires dans la valeur ajoutée des produits en jouant sur de l’endettement spéculatif pour faire tourner un marché en panne parce que les peuples ne peuvent plus consommer par affaiblissement du pouvoir d’achat. Pour gagner de nouvelles marges, les élites de la dictature libérale, légitimées à la télé et la radio comme experts de haut niveau, viennent expliquer qu’on peut encore baisser la part des salaires en rognant sur des droits sociaux. Gagner la guerre économique face aux économies capitalistes émergentes est à ce prix. Nous sommes en pleine crise du profit d’une économie financière où l’accumulation du capital n’a jamais été aussi forte.
Pour qui épouse la pensée dominante au pouvoir, il ne peut y avoir de marge de manœuvre pour répondre aux aspirations salariales, pour la conquête de nouveaux droits sociaux partout dans le monde. Pour réindustrialiser en France et en Europe, pour être dans des rapports mondiaux où tous les peuples ont à gagner, il faut changer de paradigme. D’autres modèles culturels, politiques et économiques sont à trouver pour assurer la transition écologique. Cette exigence de pensée concerne aussi le syndicalisme, sauf à ce que ce dernier se complaise dans une posture d’autruche corporatiste, les mandats bien au chaud dans un catalogue de congrès.
Didier Hude, Marcel Le Bronze