Aujourd’hui les chemins suivis par l’Europe ont prétention à servir des valeurs de paix. Mais ils sont à ce point tortueux qu’ils rejoignent la guerre économique et passent des menottes aux peuples, en Grèce, comme ailleurs. Ils convoquent une « règle d’or » qui rétablit une forme de servage financier au nom d’une dette publique brandie comme un tabou alors qu’il conviendrait d’interroger le sens de cette dette, ses raisons, ses fonctions, ses causes. Mais comme aurait dit jacques Brel chez ces gens-là, en bonne convergence de Bruxelles, on ne pense qu’à ça, Monsieur, on ne pense qu’à ça : on compte. Quand la convergence se construit sur la concurrence, elle ne peut que tôt ou tard faire sortir de la table du banquet celles et ceux qui ne sont pas compétitifs. En crime de lèse mérite, les peuples on décapite. Avec ou sans cosmétiques sociaux, la règle d’or n’est qu’une camisole austère pour contraindre les modèles sociaux au nom de la compétition mondiale.
La notion de choc de compétitivité, chère à tous les patronats, pas seulement au MEDEF, n’est pas une notion de progrès. Elle est au contraire celle de la loi du plus fort. La loi de celui qui reste seul en lice après élimination des autres. Est-ce là un progrès ? Ou un principe élémentaire relevant de joute barbare ? Les patronats ont confisqué le sens social du travail. Avec leurs chantres et leurs relais politiques, ils sont en guerre économique entre eux. L’Europe est condamnée aujourd’hui à se construire sous le joug de diktats. Ces diktats de technostructure, bénis sous les profits, accouchent de plans sociaux qui font partie du grand jeu de Monopoly où, à la fin, quand tout le monde est mort, il reste un seul vivant. Le jeu est d’autant plus passionnant, plus cruel à la fois, que l’Europe se confronte désormais à des rivaux de taille. Ils lui arasent l’échine en droits de l’homme détergents. Ils se déclinent en Chine, en pays émergents. Quel suspense, quel défi !
La compétitivité d’aujourd’hui réduit les femmes et les hommes au rôle de ressources humaines sur le marché du travail. Derrière le mot compétitivité ce qui se joue c’est la mise à mort des solidarités avec les plus faibles. C’est l’avènement d’un monde à la MAD MAX, made in max de profits, ignorants d’une planète dont nous ne sommes que de mauvais locataires. Dans les mois à venir la cible principale du choc de compétitivité européenne et mondiale va être le sacrosaint coût du travail. Vous savez celui où les cotisations sociales deviennent des charges. Ces cotisations sociales qui ne sont ni des salaires directs, ni des profits, représentent un salaire socialisé qui correspond à près d’un quart du produit intérieur brut. Le produit intérieur brut sert à mesurer la richesse produite par le travail des hommes. La cotisation sociale est une grande victoire héritée des idéaux du front populaire et du conseil national de la résistance. Quand elle augmente, elle réduit la part des profits et des revenus liés au marché du travail. Car elle augmente le nombre de personnes payées grâce à elle : les soignants (caisses d’assurance-maladie), les retraités (caisses de retraites), les chômeurs (Pôle emploi), les parents (caisses d’allocations familiales)… Ces solidarités sont autant de marchés à prendre, à livrer à la concurrence dite libre et non faussée. Plus on exonère les entreprises de cotisations, plus on tarit la source du salaire socialisé, plus on le confisque ou le détourne par des impôts de substitution, plus on s’enferme dans une spirale de récession. Remplacer la cotisation sociale par l’impôt (CSG, TVA, fiscalités territoriales…) c’est rejoindre la fuite en avant capitaliste. La baisse des charges est l’objectif prioritaire pour tous les patronats du monde qui savent se tenir la main mieux que les salariés.
Gouvernants, quelles que soient vos étiquettes, vous savez tous – même si certains ont pu l’oublier au passage – que la cotisation sociale prouve qu’on peut produire de la valeur économique sans profit et sans marché du travail. Les ordonnances de 45 ont été bâties sur cette idée. Remplacer la cotisation par l’impôt – comme veut le faire le gouvernement et son prédécesseur, et son prédécesseur encore – est un accompagnement des logiques libérales et ultra libérales. L’impôt réclame du profit, il se plie au marché du travail pour pouvoir être prélevé. Sous forme de TVA il est le plus injuste et reprend du pouvoir d’achat au salarié, au privé d’emploi, au retraité, au riche comme au pauvre. L’impôt donne de la légitimité au profit et au marché.
Le modèle européen qui nous est présenté repose sur un chantage à l’emploi, à la dette et à la compétitivité. Il doit être soigneusement interrogé et analysé pour pouvoir être mieux combattu. Il n’est pas une évidence mais un produit de placement toxique qu’il nous faut décoder pour mieux le combattre. Annuler les dettes s’impose partout. Construire des droits sociaux basés sur le travail et les richesses produites partout dans le monde est une évidence pour qui veut une planète et une humanité respectées. Généraliser la cotisation sociale pour en faire l’élément déterminent de tous les PIB est le combat syndical angulaire que nous devrions tous mener ensemble. Ne pas le mener c’est au mieux gesticuler, au pire capituler.
Didier HUDE