Quand on avance, qu’on re recule, battre en retraite ça se calcule.
Reconnaissons-le. Ça aurait pu être pire. Notre gouvernement de gouvernance technocrate aurait pu encore mieux écouter le MEDEF, encore mieux obéir aux diktats européens. La Droite ultra libérale et le patronat s’en plaignent d’ailleurs. Courageusement, eux, ils auraient fait le pire. Mais, tout en faisant mine de peler des œufs, façon réformette sociale libérale, le régime en place fait très fort.
Les syndicats d’accompagnement du libéralisme social notent des avancées pour les salariés. Il y en a certes. Mais donner peu et mal d’une main pour reprendre beaucoup de l’autre ce n’est pas une avancée. C’est un recul pour tous. Du côté des organismes de fonds de pension on a déjà fait les comptes. En 2035 les retraites des cadres auront baissé de plus de 7% en moyenne et celles des employés de plus de 8%.
Cette réforme révèle la pensée de nos dirigeants : une pensée comptable aux ordres de la Finance. Cet ordre économique planétaire n’a rien de moderne. Il creuse la souffrance des plus démunis du Nord comme du Sud. La vraie modernité vient des ordonnances de 45. Elle vient des conquêtes de la grande CGT de l’époque, de la classe ouvrière et de ses partis, du Conseil National de la Résistance qui ont osé doubler le taux de cotisation salarial et patronal pour tripler le montant des allocations sociales. Cette hausse des taux n’a pas affecté le capitalisme. Elle n’a pas empêché les profits patronaux. Mais, accompagnée de l’augmentation des taux de cotisation sociale, elle a permis de réduire les pauvretés endémiques.
Depuis 30 ans, la France et l’Europe sont sur le « reculoir ». Dans l’économie mondialisée, le dumping social est une des variables de la concurrence. Alors, les dirigeants politiques et certains syndicats capitulent face aux logiciels de l’argent-roi, parce qu’ils les ont intégrés. La conscience syndicale ne se construit pas dans l’ombre des partis politiques, ni dans l’entregent de la Finance. Le devoir d’indépendance syndicale c’est d’appeler un chat un chat quelles que soient les familles politiques au pouvoir. Et aujourd’hui ce gouvernement organise, dans la continuité, le mistigri social qui nous renvoie au jeu du pouilleux d’avant les ordonnances de 45.
Les cotisations sociales sont dans le collimateur des patrons et des libéraux de tous poils. Nos cotisations sont pour eux des charges à abattre. On les comprend. Les cotisations financent de la croissance non capitaliste. Elles rendent les travailleurs producteurs de valeurs. La cotisation c’est bien plus que de la solidarité. C’est une intuition qui échappe au marché du travail. Parler du travail comme d’un marché révèle d’ailleurs une pensée endoctrinée.
Dans le projet du gouvernement, la CSG va revenir par la fenêtre pour garantir au patronat un allègement global du coût du travail, donc des cotisations. Or la TVA et la CSG sont les ennemis directs des cotisations sociales. Augmenter les taux de cotisation n’est pas en soi inadmissible. Mais ce qui est inacceptable c’est que seuls les salariés seront soumis dans les faits à cette augmentation. Les patrons paieront d’un côté mais un tour de passe-passe leur sera servi en contrepartie.
La réforme à peine annoncée, le gouvernement promet au MEDEF le transfert des cotisations de 5,4% la branche « famille » en contrepartie de la hausse programmée de 0,3% à horizon 2017. C’est un signal symbolique et politique très fort. Ce transfert sera remplacé par la TVA ou la CSG. On est en pleine logique économique libérale. Cela répond à la volonté du MEDEF, remplacer par l’impôt ce qui relevait depuis 70 ans de cotisations sociales destinées à alimenter la part du salaire socialisé. Ces recours systématiques à la TVA ou à la CSG sont pervers, maladifs pour la sécu. Ils participent d’une vision capitaliste de la sécu qui échappe à la notion de salaire continué. Ce gouvernement n’est pas gribouille. C’est intentionnellement qu’il propose en contrepartie de 2 milliards de cotisation supplémentaire une exonération et un transfert de 34 millions vers l’impôt payé par les ménages. Cela n’est pas assez dit : le projet de ce gouvernement remet en cause la notion même de salaire différé, la fonction même de notre système de cotisation non capitaliste. Il n’a pas été élu pour ça.
En dépit de timides avancées dans le projet gouvernemental, sur la prise en compte des congés maternité, sur la pénibilité, la prise en compte des années d’études, ce projet se résume par une formule : Vivre plus pour travailler plus ! En bonne pensée bourgeoise, au ras du plafond comptable, les plus jeunes paieront la note. Même les retraités seront encore ponctionnés. Les femmes ne voient en rien corrigées les injustices dont elles sont victimes. Déjà laissées pour compte, l’écart des pensions avec les hommes perdurera. Quant à la pénibilité le gouvernement en profite pour initier un autre coup bas au salaire différé avec un compte individuel préfigurant la retraite par points. D’ailleurs en filigrane du projet c’est bien l’individualisation des droits à retraite qui se dessine.
En Enarchie de gouvernance, en Libérocratie contemporaine, la retraite est perçue comme du loisir alors qu’elle est un temps de vie libéré de l’emploi. Par les mesures prises ce gouvernement d’alternance épouse globalement la continuité politique financière. La pension est réduite à la contrepartie de cotisations passées. Ni la pension, ni le salaire ne sont pour ce gouvernement des droits politiques. Ce sont des émoluments conditionnés par les marchés et les contextes.
Evolution démographique, chiffres sur des graphiques sont des boussoles qu’on manipule. Standards and Poor’s en tarentule, la pensée inique s’inocule, quand comme un pape avec sa bulle, on pense unique sans une ridule.
Cette réforme ? Les jeunes l’ont dans les mandibules et on peut même dire dans le REcul. Tout le monde va payer ma foi : pas l’capital ça va de soi.
Didier HUDE