Le 1er mai ce n’est pas la « fête du travail » instituée par les puissants, les patrons et la classe politique la plus conservatrice. Le 1er mai c’est la journée internationale des travailleurs, celle de la classe ouvrière qui se souvient des cinq anarchistes pendus à Chicago en 1887. Commémorer n’empêche pas de fêter. En Loire-Atlantique c’est souvent pour la FSU l’occasion de se donner quelques libertés d’expression, de prendre jeu : d’épingler le sérieux.

Pas facile d’ironiser en 2016, année de grande trahison, face à un régime politique qui gouverne autant qu’il ment, de fausse gauche en vraie droite.

La politique de l’Elysée en phase avec Matignon, c’est celle de la corbeille, de l’Europe de l’euro, de la danse des marchés et de ses technos-prouts, cerveaux assistés.

Avec la loi travail, en 2016, Macron, Valls et Hollande se mettent en dehors de l’Organisation Internationale du Travail. Ils se moquent des principes universels de l’OIT. Leur seule obsession c’est le coût du travail.

Ils accomplissent leur besogne ordonnée par Bruxelles : faire diminuer le poids des salariés dans la société pour uberiser sans entraves, sans cotisations, sans salaires. Pour que partout le rapport marchand devienne la règle. Ah Rodrigue de Solferino qui l’eût cru ! Ah Chimène du FMI qui l’eût dit !

Licencier c’est embaucher ! Chômer c’est travailler ! Gagner moins c’est mériter plus ! Voilà un programme digne du 1984 de George Orwell, digne du Groland 2016 patronal et des inspirations de droites décomplexées qui sont au gouvernement depuis plus d’une décennie.

Victime du coup du père François, le Code du Travail peut-il être sauvé par quatre syndicats sur sept, l’UNEF, des collectifs lycéens et étudiants ? Disons-le franchement : reste du chemin à faire. Face à leur beau miroir Hollande peut dire à Valls : tu m’as conquis j’t’adore, en toute gouvernance nos sorts sont scellés. Nos grèves n’ont pas le tonus de l’enjeu. Nos assemblées générales sont loin d’être au zénith, encore moins d’en remplir un. Nos manifs ne progressent pas et la gonflette des chiffres ne change rien à la réalité des faits. Les étudiants, puis des lycéens, ont tenu les mobilisations depuis deux mois. Mais leur mouvement s’essouffle désormais avec les examens. Et ce ne sont pas les enseignants qui vont empêcher qu’ils se tiennent ! Ils n’ont d’ailleurs pas tous compris que si la loi Travail est votée, dès 2017 c’est la fonction publique qui sera ciblée. Comme quoi le niveau d’études ne garantit pas forcément le niveau de conscience. Pour certains, faire classe est déjà une lutte tellement dure qu’elle remplace toutes les autres.

Faire ce constat n’est pas être pessimiste mais lucide. Tout est à faire dans de nombreux secteurs. Alors mettons-nous au travail. Nous avons un potentiel d’énergies à faire converger. Si on prend trop de temps à conjuguer nos potentiels nous ne pourrons plus utiliser que des verbes au passé, un passé inutilisé. Alors battons tambours, car en compte à rebours c’est le temps qui s’enfuit.

Il nous reste quinze jours pour inverser l’avenir de tout le salariat dans notre pays. Quinze jours pour faire partir un mouvement puissant qui ne commet pas l’erreur de croire que c’est en manifestant qu’on crée un vrai rapport de forces. Manifester c’est communiquer. Faire grève c’est bloquer. Reconduire c’est possiblement généraliser. Une manifestation n’est pas un téléthon, c’est juste une ponctuation. C’est assortie à la grève qu’elle devient efficace. Brouillés par des médias tout en focus sur les violences, nous peinons à expliquer la volonté gouvernementale et internationale : déstabiliser le salariat et le travail lui-même car la mondialisation capitaliste l’exige. La formule n’est pas trop forte. Elle est froide et d’observation : une offensive est organisée sur les droits du travail au nom d’une guerre économique mondiale. Ne pas le voir c’est ne pas comprendre le niveau de riposte et ne pas pouvoir penser les stratégies nécessaires face aux patronats et leurs alliés politiciens aux manettes d’Etats réduits à des gouvernances.

On peut sortir du ciel bouché, de l’horizon des garde-mobiles qui hérissent nos rues, mais c’est loin d’être seulement en manifestant autrement. C’est en cessant le travail, en échangeant entre nous pour porter d’autres espoirs. La sanction c’est la grève, sous des formes à imaginer au demeurant.
La sanction ce n’est pas remettre à 2017 un vote présidentiel qui balaiera Tartuffe pour un Polichinelle. La sanction, c’est s’engager syndicalement, s’engager dans l’action. L’outil syndical authentique n’est pas celui qui copine avec les pouvoirs. Celui qui accompagne dans un faux réformisme les régressions en cours en confondant les intérêts des employeurs avec ceux des salariés.

Ce quinquennat a commencé en politique à l’eau de rose, aujourd’hui, au milieu de chasubles absentes, des gaz lacrymogènes, il finit en pleurs d’orangées, en fumées.

Ni chair à patrons, ni chair à matraques ! Les théoriciens de la violence, ceux qui la servent pour renverser symboliquement le pouvoir, ou pour le conforter, devraient mieux observer la grande Histoire. Ils y verraient un sinistre présage : tous les pouvoirs et régimes qui se prennent par la violence ont par la suite recours aux mêmes procédés pour s’y maintenir. Dire ça n’est pas faire dans l’angélisme mais interroger une logique politique qui ne construit pas l’intelligence mais repose sur la peur. Or la peur, les peurs, servent les totalitarismes, tout comme les corporatismes servent les fascismes. La violence aujourd’hui n’a rien de révolutionnaire. Elle sert l’ordre établi.

Le gouvernement, la préfecture, sont tout à la fois dans l’affirmation du respect du droit à manifester mais dans un tel déploiement de violence institutionnelle qu’ils en restreignent la possibilité. Le centre-ville de Nantes est interdit de facto. Les manifestations sont détournées de leur fonction. Le pouvoir en place parie lui-même sur la violence et sa médiatisation : pendant ce temps on ne parle pas du fond. Au mieux on survole les détails d’une loi projetée. Côté syndicats, l’accord est délicat. On se divise sur des grilles de lectures. Tout bon pour le pouvoir.

Le désaccord profond de la FSU avec les violences actuelles tient au fait qu’elles ne construisent aucun horizon face à une politique dont il n’y a plus une rose dans le panier. Il ne reste que des épines. La violence y ajoute des flaques de sang. Ce sang, nous ferions mieux de le garder pour qu’il coure dans nos veines. Trop rares sont les martyres qui changent le cours des vies.

En soi rien n’est si grave : que des manifestants tout en noir repeignent des flics en vert, que ces mêmes flics mordent la ligne blanche en se précipitant sur le trottoir d’en face pour coincer une cagoule rebelle, qu’une Porsche brûle ou une pauvre Clio, qu’une vitrine claque… Sauf que cet enchaînement conduit inéluctablement à installer la peur, à détourner du sens. Il n’est pas grave en soi qu’une vitrine éclatée ne renvoie plus les reflets du ciel et n’attire plus le chaland. Mais en quoi son bris suspend-t-il le futur humilié par une politique au service des patrons ? En quoi un scooter de collection mérite-t-il d’être incinéré, sauf à devenir l’effigie de celui d’un président de la République en visite privée ?

La politique du pire sert le pouvoir. Les divisions stériles aussi. Tentons de donner la meilleure part de nos cerveaux à un mouvement qui reste à construire. Y’a encore du chemin à faire. Chez tout le monde, même à la FSU.

Dans un an on pourra lire sans nul doute l’épitaphe suivante : Ci-gît un quinquennat mort de ne pas avoir voulu être autre chose qu’un mensonge.

Faisons en sorte que le Code du Travail et notre syndicalisme ne soient pas ensemble dans une fosse commune voisine ? Ce serait ballot après s’être empoisonné la vie d’en faire autant avec la mort.

Didier HUDE