La retraite par points doit s’appliquer en 2025. Jean-Paul Delevoye présentera ses conclusions sur le projet de réforme à la mi-juillet, après un rapport d’étape en mai, afin que le gouvernement lance le débat parlementaire en septembre.
Le mercredi 12 juin, le Premier Ministre a affirmé que « l’acte II du quinquennat sera celui de la justice sociale » : nous sommes donc rassuré.e.s ! Agnès Buzin, ministre en charge des retraites, a présenté l’ossature de ce qui sera la grande réforme par points. En réalité, une période anxiogène commence, surtout pour les futur.e.s retraité.e.s de la prochaine décennie.

Bilan des réformes passées annonciatrices de nouvelles régressions

Le Président de la République affirme maintenir le cap, c’est à dire amplifier la politique régressive de ses prédécesseurs appliquée depuis près de 30 ans. Les 17 millions [1] de retraité.e.s ont subi, notamment depuis 2014, une aggravation accélérée de leur situation selon une étude (citée dans la note) qui dresse un état des lieux inquiétant.

En 2017, en moyenne, les retraité.e.s de droit direct (retraites de base plus complémentaires dans le privé, pensions des fonctionnaires) percevaient 1 381€ de pension brute par mois (donc plus faible, en net). Le principe, lors de la création de la Sécurité Sociale à la Libération, de ne pas soumettre à cotisations les pensions, issues de cotisations, a été remis en cause par un « petit » 1% maladie au 1-1-1981… conservé malgré le printemps 1981 et passé à plus de 3% rapidement. Puis d’autres surtaxes vinrent [2] . Soit un total de 9,1% de taxes pour la plupart des retraité.e.s. En moyenne, les retraité.s de droit direct perçoivent environ 1 300€ de pension nette avant prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Cependant, les pensions seraient toujours beaucoup trop élevées pour le gouvernement E. Philippe-E. Macron !

En 2017, l’âge moyen de départ en retraite a franchi le seuil de 62 ans. Les contraintes liées aux décotes et à l’exigence d’annuités pour une retraite à taux plein ont obligé nombre de récent.e.s retraité.e.s à prendre leur retraite après l’âge légal. Mais c’est encore trop tôt pour le gouvernement qui vise une retraite effective à 65 ans !

Enfin, en 2017, les femmes ont en moyenne pris leur retraite 6 mois plus tard que les hommes afin de compenser partiellement des parcours professionnels plus discontinus. L’écart entre les pensions des femmes et celles des hommes a atteint 38,3% ! Les pensions brutes de droit direct des femmes s’élèvent à 1 096€ (1 777€ pour les hommes). La retraite à points sans correctifs familiaux accentuera ces inégalités.

Actuellement, si l’on tient compte des dispositifs de solidarité (44 milliards d’euros) et des pensions de réversion, les retraités de France métropolitaine perçoivent une pension totale brute de 1 649€ (1 547 € nets). [3] Une réforme totale sera l’occasion de diminuer considérablement les mesures de solidarité et de soumettre les réversions à des conditions d’âge, de ressources et de taux très défavorables.

En une dizaine d’années, le taux de remplacement, c’est à dire le rapport entre les pensions et les derniers salaires est passé de 81% à 75%. Le gouvernement E. Philippe-E. Macron veut accélérer ce mouvement de régression en remplaçant le système actuel par un autre dont l’État aurait toutes les commandes.

La prochaine réforme sera pire !
_Elle sera radicale et dure pour les retraité.e.s. Les grand.e.s perdant.e.s seront les plus modestes, les femmes et les fonctionnaires. Après les réformes de 1993 (secteur privé), 2003 (Fonction Publique : 40 annuités, décotes-surcotes, mais maintien de la référence aux 6 derniers mois), janvier 2014 (pour tou.te.s : 62 ans, 43 annuités, annulation de la décote pour une activité jusqu’à 67 ans !), la réforme dont le vote est prévu en 2020 prendra en compte toute la vie professionnelle et pénalisera ou gratifiera autour d’un âge pivot (64 ans dans un premier temps).

Une communication gouvernementale habile

Le gouvernement communique beaucoup sur le bonus pour prolongation d’activité après 64 ans et sur le fait que l’âge légal de départ en retraite sera maintenu à 62 ans. La ministre A. Buzin a osé affirmer que cet âge légal à 62 ans « permet simplement à ceux qui le souhaitent à un moment de dire stop. Je suis fatigué, je veux partir à la retraite. » C’est avouer que seule une minorité pourra s’offrir cette possibilité, à ses risques et périls. D’autre part, ce ne sera pas si simple de renoncer à une retraite complète puisque E. Philippe a été clair : celles et ceux qui partiront avant 64 ans seront pénalisé.e.s par une décote, un malus, probablement de moins 5% par an. Agnès Buzin explique que cela est normal car 64 ans devient un âge pivot pour « un système équilibré financièrement. » E. Philippe préfère utiliser un terme plus élégant en parlant « d’âge d’équilibre ».

Le système proposé devait être « simple, unique ». « Un euro cotisé donnera à tous les mêmes droits » disait le Président de la République. Nous voyons maintenant qu’en ajoutant des conditions d’âges très pénalisantes, la retraite par points se complexifie, d’autant plus que déjà certaines catégo<ries ont obtenu que leurs bonifications d’années seront maintenues (policier.e.s, militaires …). Mais d’autres professions ont aussi des servitudes, sont dangereuses, stressantes et seraient en droit d’exiger des compensations.

Des objectifs redoutables

En réalité la réforme aura deux objectifs : comprimer les dépenses de retraites, obliger les actives et actifs à différer leur départ en retraite à 64, 65 ans, ou plus. Cela alors que les seniors trouvent difficilement un emploi et sont mis en concurrence avec des plus jeunes. Un chômage massif a l’avantage, pour tout gouvernement, de freiner les revendications, notamment salariales et d’entraver les possibilités d’actions contre une politique anti-sociale.

Les enjeux financiers sont énormes. En 2017, la totalité des dépenses de retraite (indépendant.e.s, salarié.e.s du privé, fonctionnaires … Assurance Vieillesse, RSI, MSA, Caisses complémentaires …) a représenté le premier poste de dépenses de la protection sociale avec 314 milliards d’euros de pension (13,7 % du PIB). Pour le pouvoir en place, démanteler ce qui représente plus de la moitié du budget de la Sécurité Sociale, c’est espérer démanteler l’ensemble de la Sécurité Sociale. Nous sommes prévenu.e.s !

Que vont devenir les retraité·es ?

La situation est stressante, anxiogène pour les personnes actives et pour les retraité.e.s. Les un.e.s et les autres posent des questions légitimes…aux réponses sous réserve d’annonces surprises.

Les retraité·es actuel-le-s sont-elles et ils concerné·es ?

Bien sûr, elles et ils ne seront pas directement impacté.e.s par une éventuelle réforme. Leur retraite brute est acquise. Une reconversion de leurs trimestres d’activité en points n’aurait donc aucun sens. L’arme la plus radicale est de ne pas revaloriser les pensions. Michel Sapin en 2002 puis, suite à la réforme M. Touraine-J. M. Ayrault supprimant la garantie de revalorisation des retraites, M. Valls ont décidé : quasi aucune augmentation depuis 2012 et au moins jusqu’en 2020. Sans sursaut revendicatif encore plus vigoureux, les retraité-es continueront à subir les mêmes punitions.

Les actives et actifs dont la date de départ en retraite est située quelques années avant 2025 devront prendre des décisions lourdes de conséquences financières. En effet certain.e.s vont être tenté.e.s de partir en retraite avant 2025, quitte à subir une décote dans le cadre du régime actuel. Mais il y aura sans doute une période transitoire permettant seulement à celles et ceux né.e.s avant 1963 de poursuivre leur activité professionnelle et de gagner quelques trimestres. Se posera le difficile contrôle de la conversion de leurs trimestres d’activité en points pour les autres.

Comment sera calculé le montant des pensions ?

En principe sont concernées les générations nées depuis 1963 et à partir de 2025.

Les carrières discontinues, les entrées tardives dans l’emploi, les périodes de chômage seront directement sanctionnées puisque le calcul des points est proportionnel au niveau de rémunération selon la valeur d’achat annuelle de chaque point. Toute année manquante sera pénalisante.

Le mode de calcul des retraites complémentaires par points du privé est pervers : le coût d’acquisition de chaque point à capitaliser (la valeur d’achat) est indexé sur l’évolution du salaire horaire moyen des salarié.e.s du privé, + 2% en moyenne par an. Cette augmentation n’est pas réelle pour beaucoup subissant temps partiels imposés, précarité, chômage. En revanche le rendement en terme du montant du point pour la future pension (le service du point) est indexé sur les prix. Tout simplement parce que l’évolution des salaires horaires est supérieure celle des prix. Les quelques repères, les quelques garanties dont bénéficient les régimes de retraites complémentaires vont être supprimés. Car, dans le système universel par points, le gouvernement décidera seul d’augmenter la valeur d’achat et de baisser le service du point pour que globalement l’ensemble du montant des retraites ne dépasse pas 14% du PIB. Ce système est appliqué en Suède avec une baisse des pensions par deux fois.

Les gens futurs retraités auront le choix de partir avant 64 ans en subissant un malus ou décote de 5 à 10% ou bien de partir après 64 ans avec un bonus ou surcote de 5% ou plus. Pour la plupart l’âge légal à 62 ans n’a plus de signification et l’âge pivot ou d’équilibre, provisoirement à 64 ans, devient la référence majeure.

Les fonctionnaires, pénalisé-es depuis près de 20 ans, seront les grand-es perdant-es.

Si la réversion des fonctionnaires devait pour la première fois être soumise à des conditions d’âge et surtout de ressources la plupart des veuves et veufs ne toucheraient rien ou très peu.

L’évolution de la valeur du point d’indice des fonctionnaires est bloquée depuis près de 20 ans. Le décrochage des traitements des fonctionnaires par rapport aux prix est une mesure discriminatoire décidée par les gouvernements successifs, mais soi-disant pour la bonne cause , la réduction du déficit de l’Etat ! Les campagnes de dénigrement des fonctionnaires ont eu raison de leur combativité. Si la valeur du point d’indice avait suivi l’inflation ou le montant du salaire horaire moyen du privé la base de calcul des pensions serait beaucoup plus élevée.

Le taux de remplacement des pensions des fonctionnaires par rapport à leurs derniers traitements était de plus de 81% en 2006, supérieur à celui des salarié-es du privé. En 2017, il était légèrement inférieur à 75%, au-dessous de celui de celles et ceux du privé.

Avec la retraite par points la situation des fonctionnaires va empirer, pour deux raisons. Elles et ils avaient l’avantage que la base de calcul de leur pension reposait d’abord sur l’indice atteint lors des 6 derniers mois. C’est à dire pour chacun le maximum possible. En passant à la prise en compte de tous leurs traitements ou, éventuellement de leurs salaires dans le privé, elles et ils seront extrêmement perdant-es. D’autre part, si les rémunérations dans le privé sont relativement homogènes pendant toute la vie professionnelle, pour les fonctionnaires les traitements les débuts de carrière sont très faibles et augmentent grâce aux promotions, aux concours. La moyenne globale est donc nettement inférieure aux traitements des 6 derniers mois. Enfin, l’exigence de diplômes, les concours de titularisation font que l’entrée en fonction est tardive privant les fonctionnaires de nombreuses années d’acquisition de points pour la retraite.

L’heure n’est pas à la résignation mais à l’action pour contrer ces projets gouvernementaux.

Pendant un an et 8 mois de fausse concertation, J-P. Delevoye a bien réussi sa mission : neutraliser les réactions hostiles, préparer l’opinion publique à des mesures de régression sociale. Les conclusions rassurantes qu’il présentera à la mi-juillet n’engageront que lui. Le gouvernement défendra son projet de réforme au début de l’automne en voulant faire oublier qu’il jouera sur tous les paramètres pour diminuer les futures pensions. Son intérêt sera d’aller vite avant les analyses critiques contre la nocivité de son projet. La riposte n’aura lieu que si le monde du travail comprend les enjeux.

Bernard Colou


[1] Selon une étude du service des enquêtes et statistiques pour le Ministère des Solidarités et de la Santé en 2017, les retraité.e.s de « droit direct » étaient 16,2 millions. Avec les bénéficiaires de l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ex-minimum vieillesse) ou de la seule réversion, auxquels il faut ajouter 110 000 retraités supplémentaires par an, on atteint 17 millions de retraités en 2019

[2] CSG en 1991, CRDS en 1996, CASA en 2014, CSG à 8,3% en 2018

[3] « Le gouvernement s’apprête à démonter ce dispositif pour le réinsérer dans le futur régime de retraite universel par points. Même si la juxtaposition actuelle de 42 régimes crée des injustices, l’étude de la DREES montre qu’il y a beaucoup à perdre en cassant la mécanique actuelle, notamment pour les travailleurs modestes et les mères de famille nombreuse » selon le quotidien Les Echos du 7 juin 2019.