L’économiste, éditorialiste à Alternatives économiques explique l’importance des services publics revalorisés par les crises sanitaire, économique et sociale.

Comment expliquer le blocage des traitements dans la fonction publique via le gel du point d’indice ?

On doit constater malheureuse- ment une réelle continuité politique sur cette question. L’idée de base : les dépenses publiques sont un poids qui pèse sur l’économie et la société, il est donc nécessaire de les réduire. Certaines financent la protection sociale de toute la population, il est donc très délicat d’y toucher car les assurés sociaux sont également électeurs. Ils peuvent bien être partants pour moins d’impôts et moins de « charges » mais n’acceptent pas pour autant la baisse des prestations sociales. Il est plus facile de mettre l’essentiel de la pression sur les salariés de la Fonction publique, minoritaires dans le monde du travail, c’est ce qui est à l’œuvre depuis 10 ans, dans un relatif consensus jusqu’à la crise actuelle. Bruxelles n’est pas à l’origine de cette politique de réduction des dépenses publiques qui a été voulue et pensée par la haute fonction publique française depuis 30 à 35 ans. Les plus ultra-libéraux ont toujours été les hauts fonctionnaires, davantage que les patrons qui sont, eux, dans l’économie réelle. Dans ce milieu social très fermé, élitiste, il est considéré comme normal de disposer de revenus élevés et de la sécurité de l’emploi, à la différence des autres salariés.

Qu’est-ce que cela dit sur le regard gouvernemental tant sur la fonction publique que sur les services publics ?

Pour les libéraux, l’État doit se replier sur ses fonctions régaliennes : maintien de l’ordre, justice, armée, diplomatie. Le reste est superflu. Si l’économie va bien, on peut aller plus loin mais sinon on coupe…

Grave erreur car plus une société se développe, plus elle se livre à la division du travail, plus il est nécessaire de coordonner nombre d’acteurs pour produire, plus il y a besoin de services publics d’éducation, de santé, de politique environnementale pour tous… Car les riches ne vivent pas dans une bulle étanche, à l’abri des maladies, la ségrégation spatiale n’est jamais totale ne serait-ce que parce que des pauvres travaillent pour eux. L’économie a besoin d’une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée et donc des services publics, ceux qui ne le comprennent pas agissent contre la compétitivité des entreprises.

Quelles perspectives pour une revalorisation salariale dans le contexte ambivalent de la crise sanitaire (rôle réaffirmé des services publics de première ligne et poids des licenciements dans le privé) ?

La crise sanitaire provoque une chute du PIB et la réduction de la création de richesses, il faudra d’ailleurs sans doute plusieurs années avant que notre pays retrouve son niveau d’avant la crise. Se pose donc un problème très sérieux de financement de l’action publique, même si la puissance publique bénéficie de la baisse des taux d’intérêt et de la politique dynamique de la BCE, le déficit public est aujourd’hui accepté comme un mal nécessaire.

Cela ne constitue pas une solution durable au problème de financement de l’action publique, ni à celui de la dette publique. Il n’est pas soutenable durablement que le premier poste budgétaire consiste dans le remboursement des intérêts de la dette publique ! Pour trouver des sources saines de financement des services publics d’autres solutions existent : d’abord la lutte contre le dumping fiscal en Europe. Des progrès sensibles et assez inattendus ont été accomplis suite à la crise 2008. Qui aurait pu imaginer il y a encore peu de temps la levée du secret bancaire suisse, sous la pression des États-Unis, en moins de trois ans ? C’est bien la preuve que l’on peut faire avancer les choses par une volonté politique, et éviter de se réfugier dans une fuite en avant dans la dette publique. La crise sanitaire peut donc constituer une opportunité pour aller de l’avant dans l’harmonisation fiscale européenne, et ainsi dégager des ressources financières au bénéfice des services publics.