La note rédigée par EPA-FSU (Syndicat unitaire de l’Éducation populaire, de l’action sociale socioculturelle et sportive) vise deux objectifs :

  • prendre le temps de l’analyse et de l’argumentation des motifs qui nous conduisent à demander la suspension du SNU,

  • proposer dans le cadre d’une réflexion partagée, un autre projet d’engagement citoyen.

Service National Universel : « pierre angulaire » de société ?
Ou erreur de modèle de l’engagement ?

Le service national universel (SNU), généralisé à tous les départements sur la base du volontariat dès 2020, doit devenir obligatoire en 2026 au plus tard. Il pourrait l’être dès 2024. Il a vocation à renforcer la « cohésion sociale ». Il concerne potentiellement tous les jeunes de 15 à 18 ans, quel que soit leur statut (scolaire ou non, puisqu’on peut être apprenti sous conditions dès l’âge de 15 ans).

La loi de juillet 2019 dite « pour une école de la confiance » affirme l’obligation de formation jusqu’à l’âge de 18 ans. Cette obligation peut prendre différentes formes (scolarité, apprentissage, formation professionnelle, service civique…). La troisième phase du SNU, via le service civique, pourrait s’inscrire dans ce processus dit de formation. Cette loi dispose que les drapeaux français et européen doivent être présents dans les classes, les paroles de l’hymne national doivent être affichées dans chaque classe. On retrouve ici les prémisses idéologiques à mettre en valeur dans le SNU.

Composé de deux ou trois phases ce service national de conscription citoyenne, selon les termes du gouvernement, fait l’objet de thématiques et d’un cahier des charges maniant la vocation à l’engagement, l’agrégation à la Nation, la volonté éducative encadrée par une culture militaire prégnante. Ce cocktail éducatif prend soin de s’adjoindre la contribution d’une part des mouvements d’éducation populaire à la fois pour leur savoir-faire complémentaire à l’École, mais aussi pour leurs faibles coûts salariaux d’encadrement des activités.

Le réseau Jeunesse et Sports dévolu au SNU

Via les préfets, les services de l’État Jeunesse et Sports sont chargés de la mise en œuvre locale du SNU. Le 1er juin 2020 ces services seront pleinement dépendants des directions des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN). Ils seront confiés pour leur animation à une direction régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES) placée sous la double autorité du Recteur académique de région et du préfet de région. Au sein de ces services, trois corps spécifiques à la Jeunesse et aux Sports sont chargés de la déclinaison de la première phase (cohésion) et de la deuxième (intérêt général) du SNU : l’inspection (IJS : moins de 300 cadres au niveau national), les conseillers d’éducation populaire et de jeunesse (CEPJ : moins de 400 cadres au niveau national), les conseillers d’animation sportive (CAS : moins de 600 cadres au niveau national).

Les effectifs Jeunesse et Sports ont fondu spectaculairement sous le double effet de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et des destructions d’emplois opérées depuis une quinzaine d’années. S’ajoute à cela en 2020, dans le cadre de l’organisation territoriale de l’État (OTE) une révision des missions qui veut en quasi-totalité revoir celles des CEPJ et des CAS. Le SNU est présenté comme devenant la première mission structurante, supplantant celles inhérentes aux cadres statutaires actuels des personnels. Par ailleurs, les 1 500 cadres techniques sportifs (CTS), placés auprès du mouvement sportif, sont exposés pour leur part à la « nouvelle gouvernance du sport ». Ils pourraient être destinés à la privatisation à terme. Ils sont dans une inconnue quasi complète de leur avenir à près de trois mois du passage effectif au MENJ. Ils sont pour la plupart tenus à l’écart du SNU puisque leur futur devrait être sans lendemain au sein de la fonction publique si on doit en croire la volonté gouvernementale. Enfin, les établissements Jeunesse et Sports (Centres de Ressources, d’Expertise et de Performance Sportive (CREPS) sont ici et là sollicités pour accompagner le dispositif.

Tout cela dépendra des accords passés sur les territoires, du volume du « marché » à investir au nom de l’autonomie financière imposée aux établissements.

Une intersyndicale EPA-FSU, SEP-UNSA, SNAPS-UNSA, SNPJS-CGT est à l’origine d’un manifeste adressé aux ministres de l’Education nationale et des Sports, signé spontanément par plus d’un quart des CEPJ, pour protester contre le dévoiement de leurs missions et statuts. Ces personnels chargés de missions d’expertise sur les politiques publiques éducatives tout au long de vie, spécialistes dans des champs disciplinaires avec des démarches d’éducation populaire, ou formateurs, se voient contraints sous peine de sanctions d’assurer la mise en œuvre du SNU. Ils font valoir pour nombre d’entre eux une clause de conscience que les ministres rejettent.

Un cadre législatif instable et problématique

En 2020 le projet de Loi sur le SNU n’est toujours pas à l’ordre du jour. Le SNU n’est qu’un dispositif dans sa phase de « volontariat » 2019-2021. De l’aveu même de l’Élysée le SNU sera appelé à exister officiellement probablement en 2021 à l’occasion du projet de Loi constitutionnelle dit de « renouveau de la vie démocratique » qui nécessite un passage devant le parlement et une majorité qualifiée des deux tiers des députés et sénateurs réunis. Or cette Loi comporte plusieurs volets (dont la réduction du nombre des parlementaires) et l’Élysée veut s’assurer d’avoir une majorité pour pouvoir modifier la Constitution.

Le SNU serait inséré dans l’article 34 de la Constitution. Ainsi la Loi constitutionnelle de 1958 modifiée, devrait fixer les règles et principes concernant les sujétions imposées par la Défense nationale et le service national universel aux citoyens en leur personne et en leurs biens.

Cette modification de la Constitution revient à réintroduire l’obligation du service national dans la Loi en référence à la Défense, bien que le ministère de l’Éducation soit en copilotage dans la conception et la mise en œuvre. La modification de l’obligation de « formation » jusqu’à 18 ans, accompagnant le SNU, semble donner de nouvelles prérogatives au MENJ. Il deviendrait globalement le ministère en charge du temps scolaire et hors scolaire des mineurs.

 

Un groupe de travail national préfigurant le SNU a été mis en place, présidé par le général de brigade Daniel Ménaouine (récemment ex-chef d’état-major de la Minusma au Mali). Il a eu vocation à adapter progressivement le projet. Depuis décembre 2019, Patrice Latron, préfet, a été nommé conseiller du Gouvernement, chargé du déploiement du service national universel. Pour piloter le SNU il s’est installé dans les locaux du ministère des Sports, qui sont communs à ceux de la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), laquelle est en allégeance complète au SNU. Ex militaire de carrière (parachutistes et commandos), officier d’état-major, il a été aide-de-camp du premier ministre (Balladur puis Chirac) après avoir intégré le ministère de l’intérieur via la Préfectorale. À la suite des attentats de 2015, il est devenu directeur de cabinet du préfet de police de Paris.

Un projet politique destiné à unifier les jeunes

Dans sa philosophie, le SNU veut s’inspirer du creuset de mixité sociale que le service militaire pouvait représenter pour les appelés du contingent jusqu’en 1997. Sans pleinement reproduire l’armée, le principe de cohésion, de conformation aux consignes et à l’idéal national est fortement marqué. Lever des couleurs et l’hymne national charpentent les valeurs de référence des journées de la première phase de cohésion nationale. Ces deux premières semaines travaillent les mixités et dépaysements voulus systématiquement hors des départements d’origine. Ces séjours en internat prennent le statut d’accueils collectifs de mineurs (ACM). Cette législation est inappropriée puisque les séjours seront obligatoires or les ACM sont organisés sur la base du volontariat, avec l’accord familial. De surcroît les organisateurs de « colos » déposent des projets pédagogiques validés par le ministère en charge des politiques de jeunesses. On est donc là face à un expédient juridique de pure circonstance qui vise à s’associer le concours des mouvements de jeunesse y voyant un moyen d’investir un marché et une rentabilité possible de leurs locaux.

La volonté pédagogique du SNU cherche à combiner la dimension militaire, l’instruction civique et une certaine conception de l’éducation populaire. Sept fiches thématiques et un cahier des charges balisent l’organisation et le contenu des séjours. Parfois, et même le plus souvent, on a pu voir au cours des expérimentations de 2019 que le «sport» prenait l’allure de séances de pompes, de parcours aménagés inspirés de ceux du combattant. Cela peut relever de l’anecdotique. Mais le plus significatif revient à vérifier la volonté d’offrir un moment d’intégration qui coaliserait «la» jeunesse, alors que nos sociétés sont composées par «des» jeunesses caractérisées par des origines sociales différentes, des religions différentes, des cultures différentes au sein d’une même nation.

Même si ces séjours de cohésion traitent des rapports de genre, de la laïcité, de respect des origines et des peuples, ils visent à homogénéiser autour d’un concept national qui oublie la réalité des conflits sociologiques et de fait ne les intègre pas aux problématiques.

Cette approche est dérangeante, voire inquiétante, dans le cadre d’une généralisation du SNU qui va contraindre toute une classe d’âge. Cette recherche obsédante d’unité, utilisant les références aux attentats potentiels, porte en elle des aspects terriblement contreproductifs. Le fait qu’elle soit concentrée sur la première phase consacrée à la tranche d’âge 15-16 ans est un élément loin d’être neutre. L’unité de Nation est construite autour des risques auxquels elle est exposée. De fait la notion d’engagement n’est plus celle portée habituellement par les corps intermédiaires de la société civile organisée. Dans la première phase l’engagement prend un tour plus patriotique, aux connotations plus martiales. La conception traditionnelle de l’engagement (12 jours en continu ou discontinu) est renvoyée à la deuxième phase, voire à la troisième phase (engagement facultatif de 3 à 6 mois). D’ailleurs l’agence du service civique ne reprend ses prérogatives de « placement » des jeunes (avec son propre cahier des charges) qu’à l’occasion de cette troisième phase facultative.

La dispute (au sens philosophique et politique du terme) sur la notion d’engagement n’est donc en rien anodine. La massification du SNU vient déplacer sa définition commune, faite d’engagement social, à la faveur de cette obligation précoce dès l’âge de 15 ans. L’éducation populaire s’y fourvoie.

Une organisation hybride entre casernement et scoutisme de pédagogie directive

Créer un corps commun apparaît clairement comme la volonté affichée de la première phase. L’organisation en cohortes d’une quarantaine de membres, elles-mêmes divisées en sections reprend le principe des chambrées. L’encadrement des cohortes est assuré par des militaires actifs, réservistes ou retraités, mais aussi par des salariés ou militants associatifs indemnisés collaborant aux accueils sur sites. Ces premières phases offrent toutes un dépaysement assuré et un brassage de populations. Pour l’heure reposant sur le volontariat ce principe apparaît attractif. Qu’en sera-t-il s’il doit devenir une obligation s’adressant à une classe d’âge située entre la troisième et la seconde, ou à certains apprentis ?

Mais une autre limite frappe cette première phase. Elle aussi n’est pas neutre.

Les accueils collectifs de mineurs de la première phase du SNU ne relèvent pas du statut scolaire. Ils sont actuellement organisés sur la fin d’année scolaire des classes de secondes où les cours sont terminés du fait des épreuves du bac. Mais ces accueils collectifs devraient, dans la phase de généralisation, se dérouler pendant les congés scolaires (en principe hors fêtes de fin d’année). Par voie de conséquence, les obligations républicaines liées à la scolarisation ne s’appliquent pas.

Le SNU s’adresse à des mineurs de nationalité française (ou double nationalité). Les jeunes en situation de mineurs étrangers isolés ne sont pas concernés. Sans revendiquer l’imposition du SNU à tous les mineurs, on ne peut que pointer l’exception que le SNU présente au regard de la scolarisation. En droit français, un mineur ne peut être considéré en situation irrégulière. Sous statut scolaire, les élèves mineurs de nationalité étrangère, quelle que soit leur situation administrative au regard du séjour, doivent effectuer les stages et les périodes de formation prévus dans les programmes d’enseignement. Comme les autres jeunes, les élèves étrangers doivent pouvoir poursuivre leur scolarité dans le même lycée, même après 16 ans, même majeurs, quelle que soit leur situation au regard du séjour : ils relèvent comme les autres des articles L122-2 et D331-41 du Code de l’Éducation.

Si le SNU a pour vertu de former à la citoyenneté et d’intégrer pourquoi ne donne-t-il pas cette « chance » aux jeunesses réfugiées ou en exil – même temporaire – sur son territoire ? Au regard de la Convention internationale des droits de l’enfant il y a même là un principe qui ne peut qu’être dérangeant. Dans une République laïque prônant l’intégration, si parcours citoyen il doit y avoir il ne peut qu’embrasser la totalité de la population. Mais à une condition incontournable : ne pas construire un schéma de cohésion sur une base idéologique nationaliste, voire protectionniste. Autre condition majeure, ce temps de « cohésion » doit être dans le prolongement de l’École qui a justement sur toute la scolarité cette double mission de transmission de savoirs et d’éducation citoyenne. Le débat sur les limites et inégalités du système éducatif n’enlève rien à ces missions.

Les rituels collectifs d’identification à la nation ne sont pas opérationnels pour assurer l’intégration des jeunes les plus éloignés de ce sentiment d’appartenance, ni mêmes celles et ceux qui, bien que natifs de notre pays relèvent d’approches comparables à l’objection de conscience qui ne sont même pas concédées dans le SNU. Car l’objection de conscience, reconnue en 1963, chez les jeunes hommes appelés ne concernait pas uniquement le maniement des armes. La forme même du SNU, sa construction du rapport à la Nation, au concept de Nation même, est à interroger.

Tous les chantiers autour d’Erasmus et d’autres dispositifs d’échanges internationaux témoignent de l’intérêt de travailler autrement que par le prisme de la défense nationale les questions intéressant chez les jeunes et les adolescents le rapport à soi et au monde. Même si elle ne dure que quinze jours la première phase, par son faux statut d’accueil de mineurs en camp, vise à produire de l’identification sur fond de discipline ne correspondant pas aux démarches éducatrices. Quoiqu’en prétendent les fiches thématiques et les objectifs affichés, le SNU ne travaille pas l’altérité et la conscience critique, on ne cultive pas les levures pour résoudre des clivages sociaux. La cohésion nationale, le sentiment d’appartenance à un pays, ne s’approche pas en 15 jours et pas avec cette fausse bonne idée d’une immersion forgeant artificiellement l’unité nationale.

Le service national universel (SNU) est généralisé à tous les départements sur la base du volontariat dès 2020. Il devrait devenir obligatoire dès 2022. Une phase transitoire de tirage au sort par département a été évoquée pour assurer un volume provisoire de 300 à 400 000 jeunes gens par an, en attendant 2024 ou 2026 où 800 000 jeunes sont attendus annuellement.

Un devoir de conformation lie aux sanctions

Le SNU pose en principes institués l’ordre, l’obligation, la conformation aux consignes et les sanctions idoines pour celles et ceux qui y dérogent. C’est d’ailleurs là un principe classique propre aux pédagogies très directives : on se focalise sur le « manquement » lié à la transgression immédiate. Dès lors on est oublieux de l’écosystème qui contribue à ce que l’infraction existe. Sans être laxistes, les démarches d’éducation populaire au contraire cherchent à contextualiser, à comprendre ce qui fait problème, non pas pour excuser mais pour dénouer, ou du moins pour rendre flexibles les tensions.

Le caractère paramilitaire inhérent à la première phase du SNU, (cohésion et thématique nationale d’engagement) est constitué d’injonctions pour l’essentiel mentionnées dans un cahier des charges pour l’année 2020. Des sanctions sont prévues : punitions, avertissements, exclusions. Elles ne concernent à ce stade que les volontaires du SNU. Qu’en sera-t-il de l’échelle de sanctions quand le SNU deviendra obligatoire ? Il y a là un point aveugle qui mérite d’être rapidement dévoilé car les plus étranges rumeurs se propagent concernant des interdictions de se présenter aux examens, aux concours de la fonction publique pendant quelques années, voire au permis de conduire.

La question de l’objection de conscience (reconnue pour le service national d’antan) ne fait l’objet d’aucune étude. Il y a là une pomme de discorde en puissance invraisemblable. Au lieu d’obtenir une cohésion déjà en soi problématique le dispositif tel qu’il est conçu contient tous les ingrédients pour exacerber les clivages. Quand on sait comment les institutions publiques sont prises pour cibles par des jeunes en perdition on imagine l’aspect contreproductif d’une « conscription » impérative, de surcroît en mode punissant.

Mais on peut aussi imaginer la réaction de familles qui désireront faire valoir leur droit au refus de confier leurs enfants à une institution paramilitaire contraire à leur éthique et leur philosophie politique. Le fait de cibler les 15-16 ans, donc des mineurs sous la responsabilité de leurs tuteurs légaux, en première phase, via un cadre législatif inadapté (ACM), expose à des recours inévitables. Ne même pas prévoir l’objection de conscience est impensable.

Dans sa mise en œuvre et ses modalités d’organisation le SNU – et ses initiateurs – ont-ils intégré que la France est signataire de la convention internationale des droits de l’enfant de 1989 qui leur reconnaît la liberté de conscience et le droit d’exprimer une opinion sur toute question l’intéressant ? La confrontation au casernement n’a rien d’évident pour nombre de familles, comme pour une large proportion de jeunes gens en pleine période de formation et transformation, passant par des oppositions frontales.

Pourquoi ajouter dans le parcours de formation des jeunesses une telle phase de contrainte drapée d’atours citoyens qui peinent à convaincre ?

Un partenariat associatif au risque ou péril du SNU

Une part des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire (liée à l’enseignement public ou privé sous contrat) entretient des partenariats financiers et opérations habituelles jointes à l’Éducation nationale ou Jeunesse et Sports. Une part du mouvement sportif, en particulier affinitaire, est dans la même situation. Une trentaine d’organismes a ainsi passé convention avec le SNU sur des formations et des encadrements. La collaboration aux séjours de la première phase et de la deuxième phase fait l’objet d’accès à une part de marché. Certains de ces acteurs associatifs, au travers des éléments de langage qu’ils utilisent, ont même la conviction qu’on peut contribuer à la qualité de l’accueil. Ce partage de positions s’observe au sein même des agents de l’État qui aiment à « investir pour mieux les détourner » les dispositifs avec lesquels ils ne sont pas d’accord mais qui justifient leur emploi public. Chacun se retrouve comme il peut dans le sens possible à donner à ses missions.

Pourtant le SNU n’est pas un dispositif comme les autres. Ce n’est pas le service civique. On n’est pas dans les juniors associations. Ce n’est même pas un programme surgi du passé dépoussiéré des «protocoles armées jeunesse» qui accompagnaient la formation des animateurs militaires auprès des appelés du contingent !

Les associations d’éducation populaire et de jeunesse qui sont associées au SNU l’ont fait pour des raisons qui leur appartiennent. Mais cela ne peut valoir à nos yeux label de démarche inscrite dans les fondamentaux de Jean Zay et même de Léo Lagrange ou plus près de nous Joffre Dumazedier.

L’éducation non formelle, tout au long de vie, ne peut s’hybrider à des formes militarisées encore plus affirmées que dans le scoutisme de Robert Baden Powell qui lui voulait apprendre aux jeunes garçons à faire la paix et voulait se libérer du cadre militaire.

L’éducation militaire a ses vertus, appliquées aux urgences du terrain, à des situations. Les ordres s’y justifient dans un contexte donné. Les rituels du drapeau relèvent d’une symbolique sacrificielle particulière car ils ne sont pas seulement emblématiques de la patrie. Que vient donc faire l’éducation populaire dans tout ça ? Mais que vient aussi y faire l’Éducation nationale ? Car dans la première phase du SNU ces trois types d’encadrement (armée/éducation nationale/éducation populaire, jeunesse) sont prévus pour coexister dans un moule formaté par l’armée. Les faits sont là. Ils résistent au vernis des discours.

On est bien loin de la construction des outils nécessaires à l’exercice de la pensée critique, de la compréhension du monde et des sociétés. Même si des modules sont prévus aux détours de certaines thématiques on comprend en creusant le sujet que ce n’est pas pour s’approprier des leviers de pensée mais pour se conformer à des usages normatifs. L’éducation populaire n’est pas du prêt-à-penser, qu’il soit de droite ou de gauche. L’engagement n’est pas compatible avec l’obligation de séjour en «maisonnées», sous la houlette de «capitaines». Il y a là détournement de sens. L’uniforme n’est pas en soi un vecteur d’égalité. Toutes ces croyances relèvent en fait de l’idéologique.

Investir des dispositifs comme le SNU en croyant qu’on peut les rendre « acceptables » ou en souhaitant «préserver des partenariats installés» constitue un crève-cœur pour plus d’un salarié des associations conventionnées. Un salarié n’est en rien obligé de faire corps avec les choix des administrateurs ou de son encadrement. Nous y reviendrons ci-après. Le mauvais signal dans tout ça c’est le trouble jeté par des éléments de langage de l’éducation populaire en contradiction systémique avec les pratiques. Ce partenariat est exposé au péril du SNU.

Suspendre la mise œuvre du SNU au nom de l’intérêt général

Le SNU est un projet cher à l’Élysée. En raison des pratiques en cours dans ce quinquennat il apparaît peu probable que le moindre retrait d’un projet, même mal ficelé, s’opère. Il y a là un principe récurrent qui tient à une argumentation du pouvoir désormais connue : tenir les promesses de campagne présidentielle pour « réformer ». Toute remarque sur la modestie du socle électoral réel témoignant d’une acceptabilité mesurée dans l’opinion est régulièrement écartée d’un revers de main.

Demander le retrait du SNU, sans rien proposer d’alternatif, apparaît voué à l’échec. Pour obtenir la disparition du SNU il ne suffit pas d’en démontrer la nuisance sociale qu’il va représenter en devenant obligatoire, il faut aussi lui opposer un projet positif, dessinant une ambition éducative. Il vaut mieux être lucide et travailler sérieusement une analyse du SNU qui soit d’entrée syndicale et non pas politique. On ne peut – de l’intérieur du réseau Jeunesse et Sports – se limiter à un rejet du SNU qui oublierait le contexte de l’organisation territoriale de l’État et de la revue des missions qui l’accompagne. On ne peut, non plus, ignorer les difficultés d’un syndicalisme divisé qu’il faut pouvoir refédérer sur des aspirations enfin convergentes pour convaincre d’aboutir à un projet non seulement respectueux des personnels Jeunesse et Sports et de leurs missions fondatrices mais encore des Jeunesses dans leur très grande diversité, des opinions et clivages de sociétés en mutation. Le SNU n’est pas le bon chemin pour l’engagement des jeunes indépendamment des valeurs qu’il véhicule.

La situation sociale extrêmement tendue qui prévaut depuis au moins deux ans recommande de la prudence pour ne pas ajouter d’ingrédients de discorde supplémentaires. Suspendre la mise en œuvre du SNU avant qu’il ne devienne obligatoire serait une mesure de grande sagesse. Il y a pour cela plusieurs raisons.

Revoir totalement l’articulation, le fondement du SNU et respecter les personnels jeunesse et sports

Notre postulat consiste à penser que, indépendamment des formes prises que nous contestons, le gouvernement veut réellement proposer un parcours citoyen. Dont acte. Pour cela il militarise sa démarche en voulant restaurer une conscription hybridée articulée autour de la Nation, puis d’un service d’intérêt général de 15 jours peu lisible, et enfin, de manière facultative on peut prolonger les deux phases obligatoires du SNU par une troisième rejoignant le service civique avec toutes les limites que ce dernier peut avoir en matière d’emploi, de qualification et de droits salariés qui lui sont déniés.

La première phase est sans conteste d’inspiration militaire dans le principe. Elle est clivante. Par sa vocation à être obligatoire, elle passera totalement à côté de son objectif pour une partie non négligeable des jeunes garçons et filles et de leurs familles. Les activités proposées souffrent souvent d’ambiguïtés et les apprentissages et activités sportives sont très éloignés de ceux dispensés en milieu scolaire. L’éducation populaire (voire le mouvement sportif) y est, au mieux instrumentalisée, au pire complice pour des raisons obscures de ce bain de pensée où la cohésion rejoint l’uniformisation jusque dans l’uniforme.

Les services Jeunesse et Sports sont en cours de réquisition (les conseillers d’éducation populaire et de jeunesse et professeurs de sport Jeunesse et Sport en premier lieu) pour apporter leur concours à l’organisation du SNU. Bien qu’elle soit étrangère à leur vocation statutaire cette collaboration au SNU est imposée sous peine de sanctions. Le « retour » à la maison-mère Éducation nationale des services des DRAJES s’effectue de la pire des manières au sein des DSDEN et rectorats. Certes, une faible proportion d’agents Jeunesse et Sports, par leurs origines professionnelles ou par idéologie, considèrent favorablement le SNU. Mais le malaise est largement dominant : les menaces de répression brandies n’y changent rien, le spectre de la disparition ministérielle non plus.

Pour sortir par le haut de la situation désormais créée, nous portons la nécessité d’avoir à penser un parcours citoyen ne détournant ni la notion d’engagement, ni les pédagogies actives concourant à une conscience critique digne de cette appellation. Mais pour cela la suspension du SNU est indispensable. Maintenir le SNU en déploiement, avec les pressions mises sur les agents, serait une erreur fatale mais aussi un manque de respect affiché de la déontologie des cadres techniques et pédagogiques.

Respecter les consciences, les familles au service d’une république éducative qui intègre

La société civile organisée (fédérations de parents d’élèves, syndicats lycéens et étudiants, syndicats de salariés, associations de jeunesse et d’éducation populaire, mouvement sportif, autorités cultuelles, représentations de l’enseignement public et privé sous contrat…) sont à associer réellement à la définition d’un tout autre parcours citoyen pour éviter les tensions qui vont se cristalliser au fur et à mesure de la montée en charge du SNU et de son imposition à toute une classe d’âge mineure de nationalité française.

La vision actuelle est tellement intransigeante qu’elle écarte toute prise en considération de l’objection de conscience. Elle évoque même des sanctions disproportionnées. Certaines constitueraient des obstacles majeurs d’intégration à la société. Pourtant il faudra bien, si le SNU devient obligatoire et en dehors du cadre scolaire, que l’objection de conscience soit reconnue. Et nous serions alors dans une situation inédite où ce ne serait pas un mineur de 15 ans qui pourrait la soutenir mais sa famille et/ou tuteur légal ! Comment ferait-on dans le cadre de familles monoparentales avec gardes séparées et divergences sur la manière de concevoir la conscription ? Comment gèrerait-on les pratiques religieuses (indépendamment des ports de signes prévus par le cahier des charges) structurantes, les convictions particulières, le véganisme, etc.

Autant la deuxième phase du SNU pourra permettre de trouver des solutions et des négociations sur les croyances, convictions, aspirations, foi et religions, autant la première phase sera l’occasion d’exacerbations dès l’obligation de conscription.

Le SNU imposé ne peut que révéler les niveaux de tensions et fractures qu’il faut traiter autrement que par l’imposition d’un temps de casernement de la première phase. Suspendre le SNU pour se donner le temps d’une véritable réflexion des conditions à réunir pour concevoir un parcours citoyen dans sa diversité d’approches est là aussi indispensable. Maintenir le cadre du SNU et penser son remplacement seraient incohérents.

Ne pas inscrire le SNU dans la Constitution

La suspension du SNU aurait pour conséquence de ne pas l’inscrire dès 2021 dans la Constitution pour lui donner une base juridique selon nous parfaitement inappropriée et le rendre obligatoire en 2022.

Lier le SNU à la Défense (art 34 de la Constitution) par un simple ajout lapidaire d’une mention-type «service national» reviendrait à croire que les attentats de 2015, les incivilités à l’encontre des hymnes et drapeaux (justifiant en grande partie la mise en place du SNU) seront jugulés par cette immersion de 15 jours en vie ordonnée en cohortes, maisonnées, et capitanat de section. Ce serait là ignorer avec superbe tout le travail de lecture et compréhension des phénomènes de radicalisation qui ne disparaîtront pas par instauration d’un service impropre à satisfaire les institutions qui y concourent et les publics qui doivent s’y astreindre.

De surcroît cette inscription lapidaire dans la Constitution vaudrait ouverture d’un espace de déclinaisons possibles restaurant à terme un service national disparu depuis plus de deux décennies en France. Et ce sans débat public organisé.

Suspendre le SNU c’est se donner le temps de cette transparence, les moyens de vérifier si le SNU est bien une réponse appropriée pour forger des formes de citoyenneté, si par hasard il n’y aurait pas urgente nécessité ailleurs. Par exemple en donnant à l’Education nationale de nouveaux outils et de nouveaux moyens pour mieux inscrire les démarches d’éducation populaire dans le cursus scolaire (partenariats via des PEDT) et les alimenter en dispositifs civils tout au long de la vie.

Suspendre le SNU c’est encore prendre le temps de vérifier sa compatibilité ou au contraire son incompatibilité avec la Convention internationale des Droits de l’Enfant. C’est se donner le temps de vérifier comment vers 15 ans, en pleine transformation physiologique, en pleine période d’acquisition et aspiration à l’autonomie, on peut concevoir un parcours éducatif travaillant les résistances et oppositions, respectueux des différences et des disputes en cours. On rejoindrait par là le «b-a-ba» de la Convention internationale des Droits de l’Enfant.

Suspendre le SNU pour mieux servir l’École et l’éducation permanente avec ses acteurs

En France, depuis le 01/09/2019 la scolarité est devenue «obligatoire» de l’âge de 3 ans à 16 ans révolus, soit jusqu’à l’année de la première phase du SNU. L’obligation de «formation» court pour sa part jusqu’à 18 ans. Nous avons donc déjà un cadre législatif, relevant du Code de l’Éducation, qui peut répondre à un caractère d’accès « universel ».

Le SNU aujourd’hui, bien que confié au MENJ, ne relève pas du Code de l’Éducation. Tout mineur sur le sol français se voit garantir le droit à la scolarisation quel que soit son statut de situation régulière ou irrégulière. Le cas des mineurs étrangers isolés est en malheureuse augmentation. Les prévisions, désormais reconnues, d’accroissement des migrations liées au changement climatique associées à la mondialisation tablent sur une hausse sensible vers l’Europe.

Un dispositif relevant du Code de l’Éducation permettrait un accueil de TOUS les jeunes de 15 à 16 ans, du public comme de l’enseignement privé sous contrat. Il permettrait de traiter en douceur les questions marginales d’autres formes de scolarisation quelles qu’en soient les motifs. Nous aurions alors un « programme » éducatif réellement universel qui aurait l’énorme intérêt de pouvoir considérer toutes les questions sans le filtre omniprésent d’appartenances nationales mais en tant que phénomènes politiques et de civilisations. De fait cette approche des « nations » participerait de la compréhension et de l’explication du monde. Nous serions là dans une démarche authentique d’éducation populaire prolongeant les savoirs transmis. On pourrait même penser la composition des premières phases en internat comme recherchant systématiquement les mixités filles/garçons et origines comme autant de phénomènes vertueux constitutifs de la diversité et des intégrations républicaines à réaliser.

Le creuset du SNU en serait totalement modifié dans son approche de la nation.

Toutes les thématiques – aucune ne doit être taboue – seraient possibles à travailler autrement. Soyons provocateurs : le rôle des armées et de la police en France comme institutions de la République ayant le monopole du recours à la force proportionnée et par voie de conséquence l’interdiction des milices privées, avec mise en comparaison de pratiques différentes dans d’autres pays.
On pourrait avoir une focale sur les différentes formes de conflits internationaux, leurs causes, la manière dont les pays les investissent avec  des guerres désormais menées en dehors des frontières et les pratiques d’attentats ainsi que leurs causes. On le voit, on peut travailler les mêmes sujets qu’avec le SNU mais sans ses rituels clivants pour qui n’est pas volontaire.

On peut surtout enfin construire des passerelles entre les cours et apprentissages scolaires et les prolongements voulus via non pas des « accueils collectifs de mineurs » mais des « classes citoyennes de découverte », en dehors des départements et régions d’origine scolaire, avec programmes pensés dans le cadre du Conseil Supérieur de l’Éducation, laissant une part d’invention, dans une indispensable phase de préparation faisant place aux acteurs et aux jeunes.

Tout cela est à finaliser. Forcément cette révolution (répondant à une ambition éducative ouvrant l’École sur des partenariats associatifs aux garanties de qualité à labelliser) appelle des modifications dans les articulations disciplinaires, dans la définition et le dépoussiérage de modules d’enseignement moral et civique au collège et lycée. Il faudra aussi interroger les cohérences entre cette phase de «classes citoyennes de découverte» et leurs préparations au cours de l’année scolaire dans chaque établissement. En revenir à une notion rénovée de «tiers temps pédagogique» serait plus que probablement nécessaire, en concertation entre les syndicats enseignants, les autorités ministérielles et les acteurs du prolongement scolaire.

Oser exiger un cadre qui permette aux jeunes de faire ensemble, de se demander comment s’organiser pour faire, de se confronter à la résistance d’un matériau, d’une œuvre, d’un collectif… comme marchepied d’engagements futurs.

La suspension du SNU permettrait à tout le monde d’en sortir la tête haute, sans cabrage inutile, sans véhémence contreproductive. On aurait alors grâce à cette suspension la possibilité d’ouvrir un tout autre chantier de servir une ambition d’importance avec une fonction idéologique radicalement ouverte au monde et aux nécessités de le comprendre. Nous prenons le risque d’une première ébauche ci-après.

Quand l’Ordonnance prépare l’intendance « as soon as possible » (ASAP)

Le service national universel n’a fait l’objet d’aucun débat parlementaire puisqu’il est en phase d’expérimentation et de déploiement sur la base d’un volontariat encouragé par les services de l’Etat (préfectures et services du MENJ).

Le 5 février 2020 les services de Bercy ont présenté en  conseil des ministres un projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP). Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, et Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics ont ainsi exposé un ensemble de mesures hétéroclites destinées à passer par Ordonnance pour accélérer leur mise en œuvre. Parmi elles (page 15) on y traite du service national universel.

Le libellé se résume à une affirmation sommaire et une approche binaire pour commencer à constituer un élément de boîte à outils du SNU portant sur le « salariat » de l’encadrement de la première phase.

«Le Service national universel sera la pierre angulaire de la société de l’engagement que le Président de la République appelle de ses vœux, ainsi qu’une réponse aux fractures qui traversent notre société. Le service national universel (SNU) favorisera la participation de chaque jeune dans la vie de la Nation.»

Partant du constat que de 2 000 jeunes en 2019, le SNU va concerner 30 000 volontaires en 2020 sur la totalité du territoire national, les besoins d’encadrement sont affirmés.

« Afin de garantir la montée en puissance du SNU et l’accueil des volontaires dans des conditions optimales, il est nécessaire de recruter un grand nombre d’encadrants qualifiés. Or, pour les agents publics comme pour les militaires, le cadre juridique doit être adapté afin de permettre leur implication croissante, sur la base du volontariat, dans la mise en œuvre du SNU. »

Pour encadrer ces jeunes de 15/16 ans et leur permettre de « partager, autour des valeurs de la République, une expérience de mixité sociale et territoriale durant laquelle ils se construisent, trouvent une place et se sentent utiles pour la société », il faut trouver un encadrement.

L’article 41 du projet de loi ASAP vise à habiliter le « Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires afin de définir les conditions de recrutement des personnes chargées d’encadrer les volontaires du SNU ainsi que de déterminer leurs conditions d’emploi. Elles viendront compléter des dispositions réglementaires préparées parallèlement pour assurer une montée en charge du dispositif ».

2024 est une année cible : ce devrait être celle des JO en France et de la généralisation du SNU à toute la classe d’âge 15/16 ans par volonté du Pouvoir. Ci-contre le symbole de Jupiter en écho au logo de nos JO tricolores inspiré de la tour Eiffel.

On remarquera que rien n’est précisé quant au statut d’indemnisation des volontaires pour l’encadrement du SNU. C’est donc un blanc-seing qui est demandé aux parlementaires.

La méthode est extrêmement dérangeante car le retour de la conscription n’est pas un évènement anodin. Aujourd’hui la journée obligatoire de défense et citoyenneté (JDC) est certes de conscription mais elle n’a qu’un statut symbolique à côté du mois obligatoire (deux premières phases) voulu pour le SNU.

La séparation des pouvoirs en France distingue certes le pouvoir législatif (Assemblée nationale et Sénat) du pouvoir exécutif (gouvernement et président de la République). Le SNU est appelé à figurer dans l’article 34 de la Constitution dans les prérogatives de la Défense nationale. Toute mesure prise relevant de cet article 34 nécessite une loi.

Mais on peut légiférer sans passer par le parlement. C’est l’article 38 de la Constitution qui le permet. Avec une ordonnance, le Parlement délègue son pouvoir de légiférer au gouvernement. Ce dernier est donc autorisé à prendre, «pendant un délai limité», des mesures qui sont normalement du ressort du Parlement… sans passer par le Parlement.

Ces dernières années tous les gouvernements ont eu recours à ces ordonnances. On peut ainsi réformer très rapidement sans passer devant l’Assemblée nationale puis le Sénat. Mais dans ce cas la représentation nationale du Parlement ne peut pas discuter ni modifier le texte.

Seul le gouvernement peut prendre des ordonnances, avec autorisation préalable des assemblées législatives. Les parlementaires votent pour ça une loi d’habilitation pour déléguer leur pouvoir dans un domaine précis et pour une durée limitée.

C’est ce qui est recherché avec la loi ASAP. Et cela devrait passer sans problème avec la majorité présidentielle détenue à l’Assemblée. Les députés ont cependant le pouvoir de valider l’ordonnance.

Une ordonnance doit être « ratifiée » pour pouvoir devenir une loi. Pour cela, le Parlement, et donc l’Assemblée, fixe préalablement un délai que le gouvernement doit obligatoirement respecter pour soumettre les mesures prises par ordonnance au vote. A défaut, l’ordonnance devient caduque.

Si les députés ne ratifient pas une ordonnance, cette dernière continue d’exister. Mais elle reste un décret. Dans la hiérarchie des normes elle est inférieure à la loi.

Ce que révèle cette procédure expéditive c’est que le SNU se met en place en catimini alors qu’il va représenter un passage obligé particulièrement clivant pour les jeunes et leurs familles. Changer des éléments de la Constitution sans même en préciser la teneur (même scénario que pour le changement de statut de la SNCF) est une méthode dangereuse qui éloigne toujours un peu plus de l’exercice démocratique.

Un autre parcours citoyen est possible, répondant à une autre ambition éducative, une autre conception de l’intégration républicaine

Avertissement : nous allons ici nous essayer à échafauder quelques pistes possibles prenant appui sur la loi Blanquer 2019 (obligation de formation jusqu’à 18 ans) et sur l’actuel enseignement moral et civique modifié et prolongé via des classes de découvertes citoyennes (si on conserve le principe coûteux des 15 jours d’hébergement hors du département d’origine).

Notre contribution part du postulat que le gouvernement entendra maintenir une formule du SNU construite sur son schéma actuel, refusant ainsi toute modification structurelle, tout signal interprétable comme un fléchissement. L’obtention d’un retrait du projet déjà mis sur les rails apparaît illusoire. Seul un changement politique intervenant en 2022 peut être susceptible de revenir sur une volonté souffrant de toute concertation sérieuse, de tout débat contradictoire, de toute projection sur ses effets en retours sur les jeunes dans leur très grande diversité et leurs milieux de vie.

EPA inscrit donc la contribution qui suit comme une nécessité impérieuse de transformer à «iso périmètre» le SNU actuel en ambition mieux construite pour les jeunes ; qui plus est en respectant les statuts des cadres techniques et pédagogiques et de l’inspection de la Jeunesse et des Sports, ainsi que les démarches d’éducation populaire. Mais surtout EPA propose une inscription totale d’un parcours citoyen ainsi redéfini dans  la mission de service public au sein de l’École et dans son prolongement, en remplaçant le cadre militaire de la première phase par un cadre civil scolaire.

Partant du principe que le pouvoir en place ne pourra revenir sur son projet que si la société civile organisée et les parents peuvent porter un projet alternatif accompagné d’un puissant mouvement d’opposition au cadrage actuel, nous entendons ici  y contribuer à partir de la  déontologie des conseillers d’éducation populaire et de jeunesse héritée des conseillers techniques et pédagogiques à l’origine de leur métier.

Un constat partagé : acquérir une culture de l’engagement, favoriser l’émancipation et l’esprit critique, participer des prises de consciences dans les rapports d’égalité entre les femmes et les hommes, respecter les différences et dénoncer les racismes et xénophobies, lutter contre le dérèglement climatique, et autres affichages louables mis en avant par le SNU ne peuvent qu’être partagés.

Mais il y a la lettre, et l’esprit. Mais il y a les objectifs et finalités et le cadre pour y parvenir. Mais il y a l’engagement pour la nation et l’engagement citoyen. Il y a aussi «l’universal soldier» et l’universel philosophique qui prend en compte un ensemble et tous les éléments de cet ensemble dans leur diversité. Cette dimension est capitale.

La notion d’engagement doit être abordée dans sa définition première, au service de toutes et tous. L’engagement ne s’impose pas. Il se construit, il s’apprend par des rencontres, des émotions, des prises de conscience. Et l’École a cette mission républicaine, civique, morale et citoyenne à côté de l’autre mission fondamentale de transmissions de savoirs et d’apprendre à penser. Malgré ses insuffisances, malgré ses défauts et les inégalités qu’elle véhicule et reproduit, l’École est un creuset majeur pour la République. Il lui revient de mieux travailler la notion de parcours citoyen qui relève de ses prérogatives et doit faire l’objet d’un programme (y compris scolaire) mieux défini.

Si l’ambition est de réunir 800 000 jeunes garçons et filles chaque année pendant 15 jours en internat, de trouver 800 000 terrains de stage de 12 jours chaque année et d’y consacrer de 1,5 à 2 milliards d’euros dans chaque loi de Finances, il y a là un bel enjeu pour ouvrir l’École sur la vie et mobiliser les ressources associatives ainsi que les collectivités.

Au lieu d’un modèle militaire lors de la première phase nous proposons sa transformation en classes de découvertes citoyennes sur des thématiques concertées et planifiées sur le plan national. Nous proposons une refonte de l’enseignement moral et civique sur une amplitude allant du collège au lycée, également répliqué de manière éducative dans les Centres de Formation des Apprentis.

Au collège mettre en place un parcours citoyen (avec une part correspondant à l’enseignement et à la découverte de l’exercice citoyen via des rencontres et témoignages d’élus locaux, d’associations sportives, socioculturelles, d’intérêt général, d’action culturelle, environnementale…). Pour cela les projets d’établissements devraient intégrer des temps correspondant aux innovations pédagogiques et transdisciplinaires qui ont pu exister dans le second degré. L’enseignement public et celui privé sous contrat (dans le premier cycle du primaire) doivent avoir les mêmes programmes et cursus pour assurer leur mission auprès de toute une classe d’âge. L’apprentissage ne débutant désormais que vers 16 ans, la place de ce dernier sera résiduelle. Une attention devra cependant lui être portée, pour qu’une formation de même type soit proposée en CFA. L’enseignement privé hors contrat devra faire l’objet d’un examen pour que tout jeune scolaire bénéficie de la même approche citoyenne. Les jeunes mineurs isolés étrangers doivent aussi pouvoir bénéficier de ces moments de mixité et de découverte ouverts sur les grands enjeux et l’engagement. Si cohésion il peut y avoir c’est en appréhendant ce qui constitue les diversités. Et tous les jeunes sont contributeurs. Ils doivent être acteurs du dispositif.

Chaque collégien, chaque année, de la 6e à la 3e devrait avoir son parcours sous forme de réalisation concrète à présenter de manière ludique avec une fiche à l’appui permettant de témoigner d’une organisation de la pratique et d’un regard, d’une démarche. Un encouragement à travailler par groupes aurait tout son intérêt sans être une imposition car l’implication dans la démarche citoyenne se doit d’être effective et respectée dans sa singularité.

Ces parcours nécessitent une élaboration n’écartant pas les familles car tout le « patrimoine » citoyen doit pouvoir être mobilisé. En revanche les thématiques du programme (qui peuvent se rapprocher de celles envisagées pour le SNU actuel) doivent faire l’objet d’une définition nationale comme tout programme officiel le nécessite avec tous les garanties de laïcité nécessaires.

En classe de troisième on doit pouvoir distinguer un parcours spécifique pour les jeunes qui en fin d’année scolaire, après le brevet des collèges, seront bénéficiaires de 15 jours de classe de découverte sur une thématique définie en amont, pendant l’année scolaire en fonction du programme dans lequel chaque jeune aura puisé et coconstruit son parcours. Les spécialisations de lieux de séjours seront nécessaires à la fois pour s’assurer un encadrement spécialisé compétent mais aussi des locaux adaptés aux activités. On peut par exemple avoir des thèmes liés sur la protection environnementale en milieu côtier ou montagnard, l’aide aux personnes âgées isolées en milieu rural, etc.

Au cours de ces classe de découvertes les activités devront laisser un temps significatif à des séries de rencontres (car la mixité et les origines sociales disparates vont y contraindre) avec des personnels sociaux et de santé.

Les activités physiques et sportives, les activités artistiques et techniques, devront faire l’objet d’un encadrement qualifié pour réellement répondre aux attentes et exigences de jeunes qui auront choisi un séjour sur un thème déterminé. Ne pas assurer une grande qualité de séjour ruinerait le principe éducatif et les motivations à susciter sur l’engagement au service de l’intérêt général.

Pendant ces classes de découverte rien n’interdit, bien au contraire, d’avoir une exposition et compréhension des grandes fonctions régaliennes d’une République. Expliquer ce qu’est la Défense, comment ça fonctionne, pourquoi ça dépend directement du Président, comment aujourd’hui les terrains d’intervention sont définis, serait plus vertueux que d’en vivre le rapport à l’autorité et l’obéissance imposée. Le même sujet délicat devrait aussi s’appliquer à la police, à sa fonction républicaine, à son monopole du recours à la force qui de fait évite des recours dangereux aux milices. Expliquer cela, en faisant y compris venir des témoins rompus à la pédagogie peut être un moment de courage et d’ouverture d’esprit à réaliser. Travailler la question des pompiers (volontaires et professionnels), des services publics pris pour cibles pendant nombre d’émeutes doit aussi pouvoir être abordé, avec des mots simples à poser sur les symboliques qu’ils représentent.

Les classes de découvertes citoyennes, encadrées en prolongement du temps scolaire mais pas nécessairement par des enseignants, doivent offrir ces moments d’échanges et d’explications sur ce qui constitue la cité. On pourra avoir les mêmes démarches sur ce qui fait la tolérance et le respect au quotidien quelque que soit sa couleur de peau, sa religion ou pas, sa sexualité en devenir…

On comprendra que ce temps « libéré » des contextes familiaux et du monde scolaire, entouré d’alter égos inconnus venant de tout le territoire national doit faire l’objet d’une grande qualité d’encadrement et d’écoute. Ce moment exceptionnel, républicain, impose d’être réussi.

Pour cela il faut dans chaque département avoir une commission permanente, placée sous une autorité éducative faisant le lien entre le temps scolaire et extrascolaire pour constituer et animer les réseaux et ressources coopérant aux parcours citoyens. Cet enjeu est majeur. Il requiert l’expertise, la connaissance des milieux d’accueil à mobiliser et des thématiques de chaque classe de découvertes car la compétence ne s’improvise pas et les publics sont inédits par définition.

Au lycée le parcours citoyen doit être poursuivi. En classe de seconde les mêmes attentions qu’en 3e de collège devront être portées avec des organisation similaires pour la tranche d’âge 15/16 ans.

Mais la phase de 12 jours d’intérêt général qui sera à personnaliser devra faire l’objet d’une définition sérieuse et correspondre réellement à l’attente de chaque jeune dans sa 16e ou 17e année.

Le cursus de l’année scolaire lié au parcours citoyen devra prendre très sérieusement en considération l’élaboration de ce moment pour que le jeune soit au mieux accompagné dans la structure d’accueil sans prendre la place d’un salarié et sans être vécu comme un corps étranger. La labellisation des terrains d’accueil devra être envisagée.

Là encore un travail d’animation important, associant les collectivités et la société civile organisée, sera impérativement à réaliser pour assurer la qualité de l’accueil.

On mesure le défi que cela suppose car trouver 800 000 terrains de stage n’apparaît pas d’une grande évidence, qui plus est avec un tutorat digne de ce nom ! La tâche est encore plus exigeante que celle confiée aujourd’hui au service civique !

Le cadre scolaire est impératif mais il faut y prévoir la place des apprentis. L’apprenti a un statut salarié. Le dispositif devra donc prévoir un conventionnement avec les CFA et structures de formation professionnelle. Bien entendu chaque classe de découvertes citoyennes aura dans son cahier des charges à assurer l’accueil des apprentis, sur les thématiques qu’ils auront librement choisies.

Inclure dans le cycle de formation les mêmes modules citoyens qu’en lycées sera indispensable au nom du principe d’égalité d’accès républicain. Là aussi un chantier est à ouvrir.

Dernier défi revoir le service civique ! La troisième phase du SNU est facultative. Elle relève du service civique, donc de l’agence du même nom. Le service civique relève du Code du service national. Dans le cadre du SNU ce service doit être au minimum de trois mois et peut être porté à 6 mois.

Pour nous le service civique, depuis ses origines, n’est pas satisfaisant. Il doit pouvoir évoluer. S’il est un prolongement possible au parcours citoyen il doit impérativement être repositionné. Cela doit se faire dans une concertation poussée pour éviter les mésusages aujourd’hui constatables tant auprès d’associations que de collectivités ou administrations qui détournent ce dispositif. On ne construit pas de la citoyenneté sur des pratiques et terrains qui n’ont rien de vertueux.

Accompagner les parcours citoyens de moyens pour la vie associative ! Nous n’avons jamais été favorables aux emplois aidés dans les formes dominantes qu’ils ont pris. En revanche avoir des emplois tremplins sur des programmes contractualisés peut avoir des aspects positifs. Avec un budget de 2 milliards par an il y a de quoi non seulement assurer des ouvertures de locaux et servir de l’emploi pour les associations et collectivités qui en disposent mais il y a de quoi ouvrir de vrais emplois dédiés aux parcours citoyens en relation avec les collèges et lycées. Des centres sociaux, maisons de quartiers, maisons de la culture, clubs sportifs y ont aussi une place possible si les collaborations avec les établissements scolaires sont vraiment discutées et vécues en complémentarités.

Cela plaide d’autant plus pour porter ce programme – s’il doit être ambitieux – dans le cadre du MENJ et de son prolongement naturel extrascolaire. Ces parcours de citoyenneté prépareraient à d’autres moments d’ouvertures, aux échanges internationaux, aux rencontres destinées à la paix et à la sauvegarde de la planète en positivant l’engagement. Ce n’est pas la piste prise par le SNU qui focalise sur la nation et se justifie par une vision de la cohésion traumatisée héritée des attentats de 2015.

La présente contribution doit faire l’objet d’échanges, de contradictions, d’ajouts. Elle ne peut être imposée, mais concertée avec les parents d’élèves, les syndicats de jeunes et d’enseignants, les chercheurs et universitaires, les mouvements associatifs et les professionnels de la culture, de l’environnement… Bref l’ambition si elle est là commande de faire désormais ce qui n’a pas été fait.

EPA-FSU, le 07/02/2020

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